Back | Next


Chapitre 1 
Introduction : pourquoi modéliser la marée océanique à l’échelle globale ?

Tout observateur ayant passé un peu de temps sur les côtes océaniques en observant le niveau des océans a constaté une variabilité journalière importante de la hauteur de l’eau. Les marées, le vent, les vagues, les courants sont autant de facteurs différents qui agissent sur ces variations du niveau de la mer. Cette variabilité, notable en zone côtière, se retrouve aussi en plein océan même si elle est plus faible. Au large, plus de 80% de cette variabilité est due aux marées océaniques. Ainsi, pour accroître notre connaissance du phénomène à la fois en zone pélagique et en zone côtière, la modélisation des marées à l’échelle globale s’avère indispensable. En outre, le signal de marée étant tellement prédominant dans le signal océanique total, il empêche d’accéder au signal de circulation océanique qu’étudient de nombreuses branches de l’océanographie et de la météorologie. Il faut donc retirer au mieux ce signal de marée des mesures effectuées afin d’accéder à l’information de la circulation océanique [Ray and Woodworth, 1997].

Depuis plus de deux siècles maintenant, les mesures in situ d’élévation du niveau des océans par les marégraphes donnent de très bonnes mesures le long des côtes [Pugh, 1987; Wöppelman, 1997]. Les mesures marégraphiques sont majoritairement situées le long du littoral ou sur des îles [International Hydrographic Office, 1979] et dans une moindre mesure en plein océan [Cartwright et al., 1969; Smithson, 1992]. Ces données de qualité sont utilisées pour valider les modèles globaux de marées océaniques [Andersen et al., 1995; Cartwright and Ray, 1991; Le Provost, 1994; Shum et al., 1997] et les mesures faites par les satellites en orbite autour de la Terre [Mitchum, 1994].

Commencés il y a une dizaine d’années, les travaux menés en altimétrie satellitaire offrent des mesures de la topographie de la surface des océans, continues et réparties sur tout le globe terrestre [Cheney et al., 1994]. Aujourd’hui, leur intérêt scientifique n’est plus à prouver. L’amélioration grandissante des instruments de mesures à bord des satellites et l’évolution des traitements au sol contribuent largement à l’obtention de données de qualité [Fu et al., 1994]. Jusqu’à présent les données satellitaires ont été principalement utilisées pour modéliser les marées dans les zones pélagiques. Par contre peu de recherches ont été entreprises afin de les utiliser sur les plateaux continentaux et les zones côtières.

Les deux types de mesures issues de la marégraphie et de l’altimétrie, apparaissent ainsi complémentaires pour couvrir les surfaces océaniques de la Terre tout aussi bien en plein océan que sur les plateaux continentaux et les zones côtières. La combinaison de ces deux sources d’observations fournit donc une information globale mieux répartie spatialement. Plutôt que de n’utiliser ces données que pour valider les sorties de modèles de marées océaniques, en extraire l’information qu’elles contiennent pour les incorporer dans ces modèles s’avère plus profitable. Des techniques d’assimilation de données dans des modèles numériques permettent de combiner modèles et données afin d’améliorer notre compréhension et notre représentation du système océan ce qui a considérablement accru la précision des résultats [Egbert and Bennett, 1996].

Les marées sont la contribution majeure du signal océanique tout aussi bien en petits fonds qu’en plein océan. Il apparaît donc que la modélisation de la marée à l’échelle globale est primordiale si nous voulons améliorer notre connaissance des variations du niveau de la mer. L’étude des zones côtières est aussi un axe majeur de recherche dans les années à venir. Un intérêt tout particulier a été exprimé par les communautés scientifique, industrielle et militaire pour les applications côtières de l’océanographie. Nous pouvons soupçonner parallèlement que les applications commerciales au voisinage de ces zones seront sans cesse grandissantes dans le futur.

Depuis le lancement du satellite altimétrique TOPEX/Poséidon (T/P) en 1992, une quantité et une qualité de mesures de la surface des océans sans précédent dans l’histoire de l’océanographie sont accessibles. Cette arrivée massive de nouvelles données de grande précision stimule les modélisateurs des marées océaniques qui développent de nouveaux et nombreux modèles globaux. Andersen, Woodworth et Flather [1995] en recensent douze. Avec des couvertures mondiales plus ou moins complètes, des spectres de marées plus ou moins étendus, des méthodes de calculs différentes, ils fournissent tous des solutions de marées océaniques exploitables scientifiquement. Le Tableau 1 donne les principales caractéristiques des modèles les plus récents en 1997.

Nom de la solution
Modèle
Méthode
Données utilisées
Résolution (degrés)
Latitude couverte
Composantes du spectre
AG95.1
[Andersen, 1995]
Orthotides
T/P
0.5x0.5
65°S-65°N
13
CR91
[Cartwright and Ray, 1990]
Orthotides
Geosat
1x1.5
69°S-69°N
60
CSR3.0
[Eanes and Bettadpur, 1996]
Orthotides
T/P
1x1
66°S-66°N
60
DW95.1
[Desai and Wahr, 1995]
Orthotides
T/P
1x1
66°S-66°N
66
FES94
[Le Provost et al., 1994]
Modèle hydrodynamique non-linéaire éléments finis
Marégraphes
0.5x0.5
Global
13
FES95
[Le Provost et al., 1998]
Modèle hydrodynamique non-linéaire éléments finis
T/P + Marégraphes
0.5x0.5
Global
26
KAN95
[Kantha, 1995]
Modèle hydrodynamique non-linéaire différences finies
T/P
0.2x0.2
80°S-66°N
?
NSWC
[Schwiderski, 1980c]
Modèle hydrodynamique linéaire avec inversion de données marégraphiques
Marégraphes
1x1
Global
11
ORI95
[Matsumoto et al., 1995]
Analyse harmonique
T/P
1x1
65°S-65°N
16
SR95
[Schrama and Ray, 1994]
Analyse harmonique
T/P
0.5x0.5
65°S-65°N
23
TPXO.2
[Egbert et al., 1994]
Inversion globale
T/P
0.58x0.70
66°S-66°N
17

Tableau 1 : Caractéristiques des modèles globaux de marées en 1997

Des comparaisons avec une base de 95 données marégraphiques pélagiques [Andersen, 1995] rendent compte de cette précision. Une moyenne calculée sur les deux ondes principales semi-diurnes (M2 et S2) et diurnes (K1 et O1) du spectre de marée et comparée par rapport aux 95 données in situ montre que tous ces modèles ont atteint une précision de l’ordre du centimètre en plein océan (cf. Figure 1).


Figure 1 : Comparaisons des principaux modèles globaux de marées en 1997 par rapport à une base de données de 95 marégraphes pélagiques

Cependant ces comparaisons sont faites loin des petits fonds qui sont des zones de génération complexe de la marée. Il est donc légitime de se demander si la précision centimétrique est toujours valable sur les plateaux continentaux et le long des côtes. Un travail de comparaison identique effectué avec une base de données de 739 marégraphes côtiers [Lefèvre et al., 1999b] montre que ce n’est pas le cas (Figure 2).


Figure 2 : Comparaisons des principaux modèles globaux de marées en 1997 par rapport à une base de données de 739 marégraphes côtiers

Même si ces résultats sont à moduler (certains modèles issus de l’altimétrie ne fournissent pas de données en zone polaire par exemple), ils sont cependant représentatifs de la différence de précision (environ un facteur 10) qui existe entre la modélisation de plein océan et la modélisation côtière.

Ces deux comparaisons très simples montrent bien les nouvelles exigences de la modélisation globale de la marée océanique : améliorer la précision en milieu côtier tout en continuant à se rapprocher d’une précision centimétrique en plein océan.

De même qu’en plein océan, la principale erreur qui subsiste dans le signal de circulation côtière est la marée océanique : le travail présenté dans cette thèse concerne donc l’amélioration de la modélisation de la marée océanique en zone côtière par l’assimilation de données altimétriques et de données marégraphiques dans un modèle numérique.

L’objectif à long terme est d’améliorer notre connaissance de la modélisation de la marée océanique dans les mers semi-fermées (Mer Jaune, Mers de Malaisie et d’Indonésie, Mer d’Okhotsk…), dans les mers marginales (Golfe Persique, Mer Rouge…) et dans les zones littorales avec assimilation de données mesurées puis analysées. Cet objectif est à la fois motivé par l’exploitation des données satellitaires au voisinage des plateaux continentaux et l’utilisation des données marégraphiques en zone côtière, ainsi que par le besoin d’une meilleure connaissance de la dynamique des marées pour les études d’environnement en zone côtière.

Le but ultime du travail à entreprendre est de disposer d’un modèle pélagique et littoral de prédiction des variations de la surface libre de la mer et des courants dus aux marées. L’accent sera plus particulièrement mis sur les zones côtières actuellement peu ou mal connues. Des études au cas par cas n’étant pas envisageables, une méthodologie globale de simulation sera mise en place afin d’automatiser autant que possible le calcul sur toute zone d’intérêt. L’objectif général de ce travail s’inscrit dans la continuité des travaux de recherche menés sur ces sujets au LEGOS (Laboratoire d’Etudes en Géophysique et Océanographie Spatiale, Toulouse) et à CLS (Collecte Localisation Satellite, Toulouse).

Le travail effectué est présenté en quatre parties. Après un bref historique sur l’histoire de l’étude des marées, la première partie développe le phénomène de génération de la marée océanique et sa modélisation à l’échelle globale. La seconde partie expose les moyens de mesures marégraphiques et altimétriques mis en œuvre à l’heure actuelle, qui permettent de comparer et d’améliorer les modèles globaux de marée. La troisième partie décrit les résultats de la modélisation de la marée par la technique des éléments finis et l’assimilation de données par la méthode des représenteurs. Une étude spécifique sur une zone littorale permet de dégager les améliorations à apporter au modèle global pour augmenter sa précision. Enfin la dernière partie expose un nouveau type de modèle de marée qui bénéficie des derniers progrès réalisés dans le domaine de la modélisation globale.
 
 

Partie I
Généralités sur la marée

Back | Next


Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000