Chapitre 3 Origine des marées océaniques
3.1 Présentation du chapitre
Comme nous pouvons le constater dans le chapitre
précédent, entre les observations et les premières
explications satisfaisantes du phénomène des marées
océaniques, plus de deux millénaires se sont écoulés.
De nombreux scientifiques ont progressivement déterminé ce
que l’on entend par ‘marée océanique’ et ce qui en est l’origine.
Dans ce chapitre, nous nous proposons de définir ce qu’est la marée
océanique d’origine astronomique ainsi que les termes usuels qui
permettent de la qualifier. Puis, nous verrons qu’une force génératrice
engendre cette marée et nous la quantifierons mathématiquement.
Nous décrirons alors les moyens de déterminer l’élévation
des océans qu’engendre cette force. Enfin, nous préciserons
quelles sont les périodicités associées à la
marée océanique sur la surface océanique de la Terre.
3.2 Définitions
3.2.1 La marée océanique
d’origine astronomique et les autres marées
La marée océanique d’origine
astronomique est définie comme étant la variation à
allure périodique du niveau des océans due aux seules actions
des corps célestes qui se déplacent autour de la Terre. C’est
le mouvement relatif apparent de ces corps célestes par rapport
à la Terre qui, combiné à la rotation de la Terre
sur elle-même, génère des forces d'attraction gravitationnelle
périodiques entraînant un déplacement périodique
et ondulatoire des masses d'eaux océaniques.
Il existe d’autres types de marées
que les marées océaniques. Ainsi, les marées atmosphériques
sont des déplacements ondulatoires des masses d’air de notre atmosphère
et les marées terrestres sont des déformations périodiques
de la croûte terrestre. Ces deux marées se font au même
rythme que celui des marées océaniques et sont aussi générées
par le mouvement des astres. Mais il existe d’autres marées qui
ne sont pas d’origine astronomique. Les seiches apparaissent dans
des bassins de géométrie particulière et sont générées
par le vent ou les variations de pression atmosphérique qui engendrent
des oscillations de la surface (ce phénomène a souvent lieu
dans des lacs). La marée radiationnelle provient de la dilatation
des eaux de surface des océans due aux alternances jour/nuit cycliques
qui réchauffent ou refroidissent l’eau. Les marées météorologiques
sont créées par les variations périodiques de vents
alternatifs (tels la mousson ou les vents solaires) ou par les variations
de pression atmosphérique. Cependant, le but de notre travail étant
l’étude des marées océaniques, nous désignerons
dans la suite la marée océanique par le terme de ‘marée’.
Dans le cas contraire, nous préciserons le type de marée.
Il est particulièrement important
de faire ressortir la principale caractéristique de la marée
: la rigoureuse périodicité du phénomène. En
effet, le mouvement des astres étant la cause de la marée
et leurs déplacements périodiques étant parfaitement
connus, la périodicité des élévations du niveau
des océans due à la marée est, elle aussi, connue.
Comme nous le verrons plus loin, cette caractéristique permet l’analyse
harmonique de la marée.
3.2.2 Quelques termes courants
Plusieurs termes courants permettent de mieux
définir les états de la marée en fonction de son évolution
au cours du temps : son tracé donne la courbe de marée
(cf. Figure 3). Le niveau des océans et des mers varie le long
des côtes au cours du temps. Quand il monte, on parle de flot,
(ou flux ou montant) jusqu’à un niveau maximum, la
pleine mer. Quand il descend on parle de jusant (ou reflux
ou perdant) jusqu’à un niveau minimum, la basse mer.
La différence de hauteur entre une basse mer et une pleine mer consécutive
est le marnage. Le marnage est maximal après les syzygies
(nouvelles et pleines lunes) : c’est la vive-eau. Puis il diminue
durant le déchet jusqu’aux quadratures (périodes
intermédiaires entre les nouvelles et les pleines lunes) pour former
la morte-eau. Puis le marnage augmente à nouveau durant le
revif. L’écart de temps entre une vive-eau et une syzygie,
de même qu’entre une morte-eau et une quadrature, est approximativement
constant : c’est l’âge de la marée.
Figure 3 : Courbe de marée
3.3 La force génératrice
des marées
Comme nous l’avons souligné plus haut,
l’étude des marées revient à s’intéresser aux
mouvements des particules liquides des océans et des mers du globe
terrestre dans un repère de coordonnées géocentriques.
En effet, ces particules sont à la fois soumises aux forces gravitationnelles
de l’attraction terrestre et aux forces d’attraction des astres en révolution
autour de la Terre. Ces astres qui sont la cause des marées sont
nommés astres perturbateurs. Les forces qu’ils exercent sur
les particules d’eau entraînent des variations du niveau des océans
et des mers du globe qui varient dans le temps et qui forment les ondes
de propagation de la marée.
3.3.1 Expression de la force génératrice
Dans notre étude des marées
océaniques, nous supposerons que l’élément fluide
qui constitue les océans est de l’eau incompressible composée
de particules en mouvement dans le repère tangentiel direct copernicien
que nous désignerons plus simplement par
.
L’origine de
est
le centre T de la Terre et ses axes ont des directions fixes par rapport
aux étoiles supposées fixes. L’axe en z est pris comme étant
l’axe des pôles. Plaçons-nous dans ce repère
lié à la Terre et déterminons le mouvement d’une particule
P de masse m à la surface de la Terre, soumise aux
forces d’origines terrestre et astronomique. Considérons les hypothèses
simplificatrices suivantes :
-
le vecteur vitesse de rotation
reste constant en direction, en sens (axe des pôles fixe) et en intensité
(vitesse de rotation constante) ;
-
la Terre est assimilable à une sphère indéformable
de centre T.
Dans ce cas,
est
animé :
-
d’un mouvement de translation identique à celui d’une particule
ponctuelle positionnée au centre de la Terre et de masse celle de
la Terre ;
-
d’un mouvement de rotation uniforme autour de l’axe des pôles.
Les équations de la mécanique
du point nous donnent l’accélération relative
d’un point P de masse m à la surface de la Terre dans
:
(3.1)
avec :
-
: le champ d’attraction terrestre
;
-
: le vecteur de T à
P ;
-
: la vitesse relative dans
;
-
: la force d’attraction astronomique.
L’équation (3.1) traduit la loi fondamentale
de la mécanique terrestre dans un repère géocentrique.
Le terme qui nous intéresse plus
particulièrement est
: il représente la force génératrice des marées.
Cette force génératrice est donc l’expression d’un différentiel
entre la force astronomique qui s’applique sur la particule P de la part
des astres qui tournent autour de la Terre diminuée de la force
astronomique qui s’applique au centre de la Terre de la part de ces mêmes
astres.
3.3.2 Calcul de la force génératrice
3.3.2.1 L’attraction universelle
Les lois de la mécanique newtonienne
nous donnent la force d’attraction qu’exerce une particule P1
de masse m1 sur une particule P2 de
masse m2 :
(3.2)
avec :
-
G : la constante de gravitation universelle ;
-
: le vecteur de direction la ligne
passant par P1 et P2, de sens P1
vers P2 et de module la distance de P1
à P2.
Pour mémoire, rappelons l’expression
de la constante de gravitation universelle en fonction du champ d’attraction
terrestre g :
avec :
-
a : le rayon de la Terre ;
-
mT : la masse de la Terre
3.3.2.2 Le cas particulier des marées
(3.2) représente la loi de l’attraction
universelle formulée par Newton [1687]. Elle traduit le fait
que deux particules s’attirent proportionnellement à leur masse
en raison inverse du carré de leur distance.
Dans le degré d’approximation nécessaire
au calcul des marées, seuls la Lune et le Soleil ont une influence
sur la Terre (le Soleil a une très grande masse et la Lune est proche
de la Terre). Les autres planètes ou étoiles qui entourent
la Terre sont trop éloignées ou de masses trop faibles pour
être prises en considération. La seule résultante newtonienne
qui agit sur la Terre n’est due qu’au Soleil et à la Lune dans l’étude
des marées.
Considérons les deux astres, Terre
et Lune ou Terre et Soleil. Etant donné que les distances les séparant
sont de plusieurs ordres de grandeur supérieurs à leur diamètre
respectif (cf. Tableau 2), nous pouvons considérer que les astres
sont ponctuels et donc que la loi de Newton peut leur être appliquée.
Ainsi :
-
pour la Terre et la Lune :
;
-
pour la Terre et le Soleil :
;
avec :
-
mS, mL, mT les masses
respectives du Soleil, de la Lune et de la Terre ;
-
le vecteur allant du centre S du
Soleil au centre T de la Terre ;
-
le vecteur allant du centre L de
la Lune au centre T de la Terre.
Pour information, nous rappelons les valeurs
des astres cités ci-dessus dans le Tableau 2.
Astre |
Distance
Terre/Astre (km)
|
Rayon équatorial
(km)
|
Masse astre/
Masse Terre
|
Lune
|
384400
|
1738
|
0,0123
|
Soleil
|
149600000
|
696000
|
332946
|
Terre
|
0
|
6378
|
1
|
Tableau 2 : Caractéristiques de la Lune et du Soleil par rapport
à la Terre
D’après le paragraphe 3.3.1, la
force génératrice des marées qui s’applique en un
point P de masse unitaire appartenant à la surface océanique,
est égale à la différence des champs d’attraction
des astres en ce point et au centre T de la Terre. En considérant
tous les astres k qui gravitent autour de la Terre, nous déduisons
de (3.2) la force de génération des marées :
(3.3)
avec :
-
G : la constante de gravitation universelle ;
-
mk est la masse de l’astre k ;
-
uk et vk sont les vecteurs
unitaires respectifs de TC et PC (avec T centre de la Terre,
C centre de l’astre k considéré et P la particule
à la surface des océans) ;
-
Rk et rk sont les normes des vecteurs
TC et PC.
La force génératrice des marées
d’un système constitué de plusieurs astres qui s’exerce sur
une particule de la Terre est égale à la somme des forces
génératrices de chacun des astres perturbateurs qui s’exercent
sur la particule. Nous pouvons donc décomposer l’étude de
cette force générée par plusieurs astres en une étude
d’un système de deux corps Terre – astre. Nous obtiendrons la force
génératrice totale en additionnant la composante de chaque
astre.
Dans (3.3), en ne considérant qu’un
seul astre k, Rk et uk ne dépendent
que de la position de la Terre et de l’astre perturbateur. Par contre rk
et vk dépendent de la position de la particule
P de masse mk qui subit la force génératrice
des marées. C’est pourquoi le terme
représente la force d’attraction exercée sur une masse mk
placée au centre de la Terre car elle est indépendante de
la position. Au contraire, le terme
représente la force d’attraction sur la particule P de masse mk
dépendant de la position de P.
Figure 4 : Direction des forces gravitationnelles
par les interactions Terre/astre
La Terre, soumise à la force d’attraction
gravitationnelle exercée par la Lune ou le Soleil, subit donc une
accélération dirigée vers cet astre qui engendre une
force d’inertie, la force centrifuge, appliquée en chaque
point de la Terre. Pour une particule située au centre de la Terre,
la force centrifuge s’oppose exactement à la force gravitationnelle.
Cependant, ailleurs qu’au centre il n’y a pas équilibre. La force
gravitationnelle varie avec le carré de la distance séparant
un point de la Terre avec l’astre perturbateur. La Terre et la Lune (ou
la Terre et le Soleil) ont un mouvement de translation circulaire, c’est
pourquoi, la force centrifuge, reste la même en tout point du globe
[Dronkers, 1964]. La force différentielle est la force génératrice
des marées.
3.3.2.3 Direction et module
Par une construction géométrique
simple [Bessero, 1985], nous allons déterminer la direction
et le module de la force génératrice des marées pour
un astre perturbateur.
Soit A1 et A3 deux
points de (TC) et A2 et A3 deux points de (PC) construits
tels que :
-
l’arc de cercle PA1C soit de centre C et de rayon PC soit rk
;
-
la droite (A1A2) soit parallèle à (PT)
;
-
l’arc de cercle A2A3 soit de centre C et de rayon
A2C;
-
la droite (A3A4) soit parallèle à (A1A2)
;
-
l’arc de cercle A4CP’ soit de centre C et de rayon A4C.
Figure 5 : Construction géométrique
de la force génératrice de marée
Donc nous avons par construction :
CP’=CA4, CA3=CA2,
CA1=CP=rk,
et par le théorème de Thalès
:
et
.
Comme
nous avons :
, d’où :
Aux coefficients multiplicateurs prêts
et mk, nous reconnaissons l’expression de la force génératrice
des marées données par (3.3). Ainsi, en tout point P de la
surface des océans, nous savons construire la force génératrice
des marées d’un astre k. Cet astre k de masse mk
exerce donc sur une particule P des océans qui est à
une distance Rk du centre est C de l’astre, une force
génératrice de marée :
(3.4)
Ce tracé se simplifie grâce
à la règle de Proctor qui, supposant que l’astre k
est à l’infini, entraîne que les arcs de cercle de construction
sont des droites parallèles et donc que TP’=3TA1.
3.3.2.4 Expression angulaire
Nous allons simplifier l’écriture de
(3.4) en exprimant PP’ en fonction de a le rayon de la Terre
et de l’angle
décrit
entre l’axe centre de la Terre - centre de l’astre et l’axe centre de la
Terre - point P considéré.
est appelé la distance zénithale de l’astre. Par la
règle de Proctor citée précédemment, nous avons
:
.
Figure 6 : Expression angulaire de
la force génératrice des marées
Par le théorème de Pythagore
dans un triangle rectangle, nous avons :
,
d’où l’expression du module de la
force génératrice en fonction de
:
(3.5)
Grâce à cette équation
et à la méthode de tracé définit dans le paragraphe
3.3.2.3, nous pouvons définir la surface que prendrait une couche
d’eau liquide recouvrant toute la Terre par l’influence d’un astre unique
(cf. Figure 7, les proportions sont exagérées pour une meilleure
visualisation). Cette surface est symétrique par rapport à
l’axe des pôles d’une part et par rapport à l’axe centre de
la Terre – centre de l’astre d’autre part. La surface est un ellipsoïde
de révolution.
Figure 7 : Surface prise par un océan
global due à la force génératrice des marées
d’un astre unique
3.3.2.5 Cas du système à
trois corps Terre – Lune - Soleil
Dans le cas de la Terre, nous avons vu que
seules la Lune et le Soleil ont une influence notable sur la génération
des marées océaniques. Afin de quantifier la force génératrice
des marées sur notre planète, plaçons-nous dans le
système à trois corps Terre – Lune – Soleil. (3.4) montre
que la force génératrice des marées varie en raison
inverse du cube de la distance contrairement à l’attraction gravitationnelle
qui varie en raison inverse du carré de la distance. Les valeurs
données dans le Tableau 2 permettent de calculer le rapport entre
l’influence de la force génératrice des marées due
à la Lune et due au Soleil :
Ainsi, l’action de la Lune est deux fois
plus importante que celle du Soleil malgré sa masse considérable
: l’effet de distance est prépondérant.
Cependant ces forces différentielles
sont infimes. Pour la Lune par exemple :
Par un calcul similaire nous avons pour
le Soleil :
Ainsi, la composante verticale de ces forces
différentielles ne modifie que très légèrement
l’intensité de la pesanteur, de l’ordre du dix millionièmes,
et leur composante horizontale en altère la direction, d’un angle
de l’ordre du centième de seconde sexagésimale. Il est donc
remarquable de noter que des forces aussi faibles conduisent à des
variations du niveau de la mer aussi spectaculaires que celles que nous
observons dans l’océan.
3.3.3 Périodicité de
la génération des marées
Dans le champ de la force génératrice
des marées créé par la Lune et le Soleil, la Terre
tourne autour de son axe des pôles, ce qui entraîne une déformation
périodique de la surface des océans en fonction de la position
de l’axe perturbateur considéré. Plaçons-nous dans
le cas du système à deux corps (Terre - Lune par exemple).
Considérons P1 et P2 deux points de la surface
terrestre qui sont à la même latitude mais diamétralement
opposés. Construisons la force génératrice des marées
en P1 et P2 à un temps t (cas a) et à
un temps t+dt (cas b) tel que la Lune a fait un demi-tour autour de la
Terre.
3.3.3.1 Astre perturbateur dans le
plan équatorial
Figure 8 : Force génératrice
de marée dans le cas où l’axe perturbateur est dans le plan
équatorial
Dans les deux cas la force génératrice
en P1 et en P2 est identique. La périodicité
est donc la durée d’une demi rotation de l’axe perturbateur autour
de la Terre. Dans ce cas, la force est dite semi-diurne pure.
3.3.3.2 Astre perturbateur en dehors
du plan équatorial
Figure 9 : Force génératrice
de marée dans le cas où l’axe perturbateur est en dehors
du plan équatorial
Dans les deux cas la force génératrice
en P1 et en P2 n’est plus identique. La force génératrice
a toujours une périodicité semi-diurne, mais nous voyons
apparaître des fluctuations diurnes dans les minima et les maxima
de cette force. La périodicité reste semi-diurne mais avec
des inégalités diurnes. Nous avons ainsi l’explication qualitative
des variations semi-journalière et journalière constatées
des élévations des océans et des mers le long des
côtes terrestres.
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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000