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Chapitre 4 Le potentiel générateur des marées

4.1 Présentation du chapitre

Dans le chapitre précédent, nous avons déterminé la force génératrice des marées exercée par la Lune et le Soleil sur les océans. Nous pouvons chercher un potentiel qui dérive de cette force et l’exprimer en fonction des mouvements des deux astres perturbateurs. Nous verrons que, grâce à des principes de la physique ondulatoire, ce potentiel peut s’exprimer sous forme d’une somme infinie de potentiels élémentaires qui se traduisent tous par la génération d’une onde sinusoïdale élémentaire se propageant dans les océans. Trois développements du potentiel générateur sont présentés et permettent d’introduire les notions de composantes harmoniques de la marée que nous quantifierons et qualifierons pour les principales ondes de la marée.

4.2 Expression du potentiel

4.2.1 Définition du potentiel d’une force

Par définition, une force F dérive d’un potentiel P si nous pouvons écrire :

(4.6)

Avec  l’opérateur nabla tel que dans les coordonnées cartésiennes d’un repère (Oxyz) :

et est le gradient de P. P est une fonction scalaire.

Le potentiel, défini à une constante près, est égal au travail qu’effectue la force pour déplacer une masse unité d’un point vers un autre, indépendamment du chemin suivi. On montre qu’un champ d’attraction créé par un point matériel P de masse m dérive d’un potentiel P fonction de la distance r entre P et un point considéré :

(4.7)

Dans le cas de l’étude des marées, le potentiel qui dérive de la force génératrice des marées est appelée potentiel générateur des marées. Le gradient est un opérateur linéaire, donc, dans le cas du système à trois corps qui nous intéresse (Terre - Lune - Soleil), nous pouvons décomposer le potentiel astronomique générateur total  en la somme du potentiel générateur lunaire PL et du potentiel générateur solaire PS. Ainsi, il suffit de déterminer PL, par exemple, et PS s’en déduit aisément. La somme du potentiel lunaire et du potentiel solaire se nomme potentiel luni-solaire.

4.2.2 Calcul du potentiel

4.2.2.1 Expression générale du potentiel

Comme nous l’avons vu précédemment nous pouvons simplifier le calcul du potentiel générateur des marées en ne calculant que le potentiel lunaire PL. En reprenant les notations introduites dans les paragraphes précédents et qui sont représentées Figure 6, et en exprimant la force génératrice lunaire donnée par (3.3), nous avons grâce à (4.7) [Le Provost, 1973] :

(4.8)

Dans le triangle TCP de la Figure 5, nous avons la relation trigonométrique : , ce qui permet d’écrire l’inverse de  et le potentiel  en fonction de a, RL et  :

(4.9)

(4.10)

4.2.2.2 Décomposition du potentiel en polynômes de Legendre

Le terme  est petit devant 1. Dans le cas de la Lune,  et dans le cas du Soleil , donc nous avons :, et nous pouvons alors décomposer (4.9) en une série entière de polynômes de Legendre :

(4.11)

avec Pn les polynômes de Legendre définis par les relations :

(4.12)

Cependant dans notre cadre d’étude, le terme étant petit, il entraîne une diminution très rapide de l’influence quantitative des polynômes de Legendre avec l’ordre du développement. La contribution du polynôme P2 représente environ 98% du potentiel lunaire total et une fraction encore plus importante du potentiel solaire total [Le Provost, 1973]. C’est pourquoi, nous nous limitons à l’ordre 2, limite de précision des mesures in situ même si dans certains cas, le développement est utilisé jusqu’à l’ordre 3 [Doodson, 1921; Le Provost, 1973] Les quatre premiers polynômes de Legendre s’écrivent alors en fonction  :

(4.13)

Ce qui nous permet après simplifications, puisque le potentiel est défini à une constante près, d’exprimer le potentiel générateur lunaire à l’ordre 3 :

(4.14)

Ce potentiel ne dépend :

En remplaçant l’indice L par l’indice S, nous avons de même pour le potentiel solaire. La somme des deux potentiels est le potentiel luni-solaire.

4.2.2.3 Valeur du potentiel générateur

En reprenant les travaux de Doodson [1921], posons les coefficients géodésiques de Doodson :

et 

avec :

L’expression exacte du potentiel après simplifications est :

(4.15)

D’après (4.14) nous pouvons écrire le potentiel luni-solaire à l’ordre 2 :

4.2.3 La marée d’équilibre

Par définition, la marée d'équilibre, ou marée statique, est la marée proportionnelle au gradient du potentiel générateur. Cette marée est formée sur l’hypothétique base d’une Terre sphérique indéformable recouverte d’une fine couche d’eau sans inertie ni viscosité qui représente les océans. Dans ce cas, la surface des océans répond de manière instantanée à toutes les forces génératrices de la marée et acquiert une position d’équilibre. Dans la direction verticale, l’équilibre est hydrostatique. Dans la direction horizontale, la force génératrice est en équilibre avec le gradient de pression généré par la pente de la surface (cf. Figure 7). Le seul potentiel perturbateur pouvant engendrer un déplacement de la surface liquide est le potentiel générateur des marées. Donc le déplacement vertical a est donné par :

(4.16)

Même si la marée statique ne représente pas bien la marée réelle, elle permet d’obtenir une bonne approximation de son ordre de grandeur. Ainsi, l'amplitude de la marée d'équilibre lunaire est au maximum de 54 centimètres, et la marée d'équilibre solaire est au maximum de 25 centimètres [Bessero, 1985]. La marée d’équilibre luni-solaire est donc inférieure à un mètre.

4.3 Variation du potentiel en fonction du temps

La Lune et le Soleil ne se déplacent pas uniquement dans le plan équatorial terrestre. Ces deux astres suivent des orbites elliptiques qui sont inclinées par rapport au plan équatorial. La déclinaison est l’angle que décrit le centre de l’astre avec le centre de la Terre par rapport au plan équatorial. C’est pourquoi, comme nous l’avons vu au paragraphe 3.3.3, la surface des océans se déforme en fonction du temps sous l’influence des variations de la force génératrice des marées et suivant la déclinaison des astres perturbateurs. Les variations de la déclinaison conduisent à une séparation distincte des types de marées. Nous avons déjà cité les phénomènes de marées semi-diurnes (paragraphe 3.3.3.1) et marées diurnes (paragraphe 3.3.3.2), mais il existe aussi des phénomènes de marées longues périodes. Ces phénomènes, comme leurs noms l’indiquent, sont de périodes respectives, la demi-journée, la journée et de périodes plus grandes que la journée. Dans la suite, nous allons développer ces différences suivant les types de marées.

4.3.1 Coordonnées horaires des astres perturbateurs

Afin de déterminer la position d’une particule P à la surface de la Terre et la position d’un astre perturbateur par rapport au centre de la Terre, nous introduisons plusieurs notions de géométrie céleste.

Plaçons-nous dans le repère  introduit en dans le paragraphe 3.3.1 dont l’origine est le centre de la Terre. L’intersection du plan équatorial avec le plan méridien contentant le méridien de Greenwich est l’axe des x. L’axe des y est dans le plan équatorial et perpendiculaire à l’axe des x. L’axe des z est l’axe des pôles.


Figure 10 : Coordonnées horaires d’un astre perturbateur

Soit :

4.3.2 Interprétation du potentiel en coordonnées horaires

En considérant le triangle coloré de la Figure 10, la relation fondamentale de la trigonométrie sphérique nous donne :

(4.17)

En reportant (4.17) dans (4.15) et en ne considérant qu’un astre, nous avons après simplifications :

(4.18)

Les trois termes de la somme de (4.18) ont une dépendance différente en fonction de AH, angle horaire de l’astre perturbateur considéré :

4.4 Le potentiel dans le système Terre-Lune-Soleil

4.4.1 Caractéristiques astronomiques

Comme nous l’avons vu précédemment, les variations du potentiel générateur des marées sont la conséquence des mouvements des deux astres perturbateurs : la Lune et le Soleil. Définir l’orbite de la Lune autour de la Terre et l’orbite apparente du Soleil autour de la Terre (la Terre tourne autour du Soleil!) est essentiel pour déterminer ce potentiel. Il est nécessaire ici de définir la notion d’écliptique : c’est le plan dans lequel évolue le Soleil sur son orbite apparente. Les positions de la Lune et du Soleil peuvent être définies par rapport à l’écliptique dans un système de coordonnées écliptiques. Les coordonnées angulaires sont la longitude et la latitude écliptiques. La longitude est mesurée par rapport au point vernal  (ou équinoxe de printemps) qui est le point sur la ligne d’équinoxe (intersection de l’équateur de la Terre et de l’écliptique) où le Soleil coupe le plan équatorial le 21 mars. Ce point d’équinoxe vernal a une position qui varie très lentement au cours des siècles. La latitude est mesurée par rapport au plan de l’écliptique. La déclinaison du Soleil est maximale au moment des solstices. Le Soleil moyen est le Soleil fictif qui évolue le long de l’écliptique à une vitesse horaire constante.

La distance moyenne de la Terre au Soleil est de 149,6 millions de kilomètres. Le Soleil évolue dans le plan de l’écliptique qui fait un angle  (obliquité de l’écliptique) avec l’équateur terrestre variant peu au cours du temps : environ 23,45°. L’excentricité moyenne e du Soleil (paramètre définissant le caractère non rigoureusement circulaire de l’orbite solaire) est de 0,017. Le point vernal bouge très légèrement le long de l’écliptique pour faire une révolution sur le plan de l’écliptique en 26000 années environ (précession luni-solaire). Le périgée solaire (point de l’orbite le plus proche du Soleil) est à 147,1 millions de kilomètres de la Terre. L’apogée solaire (point de l’orbite le plus éloigné du Soleil) est à 152,1 millions de kilomètres. Le périgée solaire accomplit une révolution sidérale en 209,4 siècles. La durée d’une révolution de la Terre est d’une année tropique soit 365,24 jours.

La Lune est à une distance moyenne de la Terre de 384400 kilomètres. Elle évolue dans le plan de l’orbite lunaire d’excentricité moyenne égale à 0,055. Cette excentricité est moyenne car à cause des perturbations dues au Soleil, elle varie en fait entre 0,044 et 0,067. Son inclinaison moyenne i par rapport à l’écliptique est de 5,15° et varie entre 5° et 5,3°. Le nœud ascendant lunaire  est le point d’intersection de l’orbite lunaire avec le plan de l’écliptique quand le mouvement de la Lune est dirigé vers le nord. L’inclinaison I de l’orbite lunaire par rapport à l’équateur varie au cours du temps en fonction de la position de  : de 18,5° quand  coïncide avec  à 28,5° quand coïncide avec l’équinoxe d’automne (le point diamétralement opposé à , c’est-à-dire le point sur la ligne d’équinoxe où le Soleil coupe le plan équatorial le 23 septembre). La périodicité de passage de  sur  est de 18,61 années, ce qui entraîne un mouvement annuel de  dans la direction ouest de 19,57° par an : c’est la régression. Par commodité dans l’étude des marées, l’inclinaison de la Lune sur l’écliptique et l’excentricité lunaire variant très lentement dans le temps, des valeurs moyennes dépendant de la date considérée suffisent aux calculs. Le périgée lunaire est à 363296 kilomètres de la Terre. L’apogée lunaire est à 405504 kilomètres. La durée d’une révolution sidérale de la Lune est égale en moyenne à 27,32 jours et celle du périgée lunaire à 8,85 années tropiques.


Figure 11 : Caractéristiques des mouvements de la Terre, la Lune et le Soleil

Pendant la durée de rotation de la Terre par rapport aux étoiles fixes (jour sidéral), le Soleil s’est déplacé lui aussi le long de l’écliptique dans le sens inverse de la rotation terrestre. Donc le jour solaire moyen (passage du Soleil moyen au-dessus d’un même méridien terrestre après une rotation autour de la Terre) est légèrement plus court (23h56min) que le jour sidéral. Au contraire, la Lune se déplace le long de son orbite dans le même sens que l’axe de rotation terrestre. Le jour lunaire moyen est donc plus long que le jour sidéral soit 24h50min28s. Les pleines lunes et les nouvelles lunes ont lieu à chaque fois que la Lune repasse au même point du plan de l’écliptique soit tous les 29,53 jours : c’est la lunaison.

Nous avons insisté sur les nombreuses périodes des différents phénomènes résultants de la rotation des astres perturbateurs (Lune et Soleil) autour de la Terre, car elles vont se retrouver dans les périodicités des composantes de la marée. Toutes les périodicités décrites ci-dessus sont incommensurables deux à deux, c’est-à-dire que les mouvements des deux astres perturbateurs n’engendrent pas une force génératrice des marées périodique au sens strict. En effet, il n’existe pas de période au bout de laquelle le phénomène de marée (et donc l’élévation du niveau des océans due aux marées) soit identique. Cependant, il existe une période au bout de laquelle la configuration est quasiment identique. C’est la période chaldéenne ou période de Saros qui correspond à :

4.4.2 Positions des astres

La théorie solaire de Newcomb [1895]donne la position apparente du Soleil en fonction de la longitude écliptique (la latitude écliptique est supposée nulle) et de la distance (sans dimension car rapportée à la distance moyenne : cf. paragraphe 4.4.1) du Soleil par rapport au centre de la Terre. La théorie lunaire de Brown qui prend en compte les effets perturbateurs de la Terre, du Soleil et d’autres astres perturbateurs, donne des positions très précises des mouvements de la Lune. Elle fournit la longitude écliptique, la latitude écliptique et de la distance (sans dimension comme pour la théorie de Newcomb) de la Lune par rapport à la Terre. Ces deux théories combinées permettent de connaître à tout instant les positions précises du Soleil et de la Lune par rapport à la Terre. L’introduction de 5 angles fondamentaux s, h, p, N et p1 permet d’exprimer les coordonnées écliptiques du Soleil et de la Lune en fonction du temps. Leurs valeurs ont été données plus haut et sont résumées dans le Tableau 3.
 
Longitude moyenne
Symbole
Période
Lune
s
27,32 jours solaires moyens
Soleil
h
365,24 jours solaires moyens
Périgée lunaire 
p
8,85 années tropiques
Nœud lunaire
N
18,61 années tropiques
Périgée solaire
p1
21000 années tropiques

Tableau 3 : Valeurs des angles fondamentaux des mouvements de la Lune et du Soleil

Considérons le temps en jours juliens diminué du nombre de jours juliens écoulés au 31 décembre 1899, minuit temps universel. Dans la période julienne, la date d’origine est le 1er janvier 4713 avant J.-C. à midi (calendrier julien). La journée qui sépare le midi du 1er janvier à celui du deux janvier porte le numéro 0. Soit T le nombre de siècles juliens (soit 36525 jours solaires moyens).

Afin que tous les angles augmentent vers l’est, Doodson a défini . Avec cette convention temporelle, les 5 angles fondamentaux sont alors [Doodson, 1921] :

(4.19)

Enfin, le temps moyen solaire de Greenwicht et le temps moyen lunaire de Greenwich par la relation sont définis par :

(4.20)

Le Tableau 4 donne les périodes des angles fondamentaux.

Angle
Période
1,035 jours
s
27,32 jours
h
365,24 jours
p
8,85 années
N’
18,61 années
p1
209,4 siècles

Tableau 4 : Périodes des angles fondamentaux

4.5 Développement du potentiel

Grâce à la décomposition du potentiel générateur en polynômes de Legendre, nous avons exprimé le potentiel en une suite infinie (cf. (4.15)). En outre, comme nous l’avons vu plus haut, il est possible d’exprimer les mouvements des astres perturbateurs responsables de la génération des marées (en l’occurrence pour le système terrestre, la Lune et le Soleil) de manière très précise et linéaire. C’est pourquoi, il est possible de développer ce potentiel générateur en série de fonctions pseudo harmoniques (cf. paragraphe 4.5.1) ou harmoniques (cf. paragraphes 4.5.2 et 4.5.3). Nous nous proposons de donner des développements de ce potentiel générateur sous forme de fonctions sinusoïdales ou non du temps dépendant des coordonnées du lieu d’observation. Ce potentiel va comprendre des termes classés suivant trois types de marées définis par la périodicité des phénomènes générateurs (cf. paragraphe 4.3.2) : les termes longues périodes, les termes diurnes et les termes semi-diurnes.

4.5.1 Le développement de Darwin

Darwin présenta le premier développement du potentiel générateur de marée en fonctions sinusoïdales du temps. Il est quasi-harmonique car il contient des pseudo constantes qui varient très lentement dans le temps [Darwin, 1883]. Pour repérer la latitude et la longitude de la Lune, Darwin utilise l’orbite lunaire comme système de référence. Nous n’allons pas reprendre ici les calculs et leurs résultats de Darwin. Un développement complet est disponible dans l’ouvrage de Schureman [1958] (complété dans la seconde édition [Schureman, 1971]) et les résultats principaux sont rappelés dans la thèse de Le Provost [1973]. Ce développement contient 32 termes lunaires et 59 termes solaires. Les noms que Darwin a donnés à chacun de ces termes sont toujours utilisés dans les études et les analyses des marées.

Chaque onde est caractérisée par une appellation symbolique composée d’une lettre pour indiquer le groupe auquel elle appartient (M, S, O, N, K, Q, s, r, t, c...) et d’un indice pour indiquer sa périodicité :

D’autres notations plus complexes sont mises en place. Nous les verrons dans la suite.

4.5.2 Le développement de Doodson

4.5.2.1 La décomposition du potentiel

En 1921, Doodson [1921] présenta un développement du potentiel générateur beaucoup plus complet. En s’appuyant sur la théorie lunaire de Brown, il a exprimé les coordonnées de la Lune par rapport à l’écliptique. Ses développements, contrairement à ceux de Darwin, sont purement harmoniques. Ils conduisent à environ 400 composantes du potentiel. Doodson a utilisé les 5 angles fondamentaux ainsi que le temps lunaire moyen (cf. paragraphe 4.4.2) pour positionner les mouvements de la Lune et du Soleil dans le repère copernicien terrestre. Le potentiel (développement à l’ordre 2 de la série en polynômes de Legendre) est alors exprimé sous la forme :

(4.21)

avec :

(4.22) (4.23) (4.24)

Les  sont appelés les facteurs de latitude : ce sont eux qui déterminent le type de la marée. Ils dépendent de  la latitude à laquelle le potentiel s’exerce. Les coefficients  et  sont définis dans le paragraphe 4.2.2.3.  et  sont les déclinaisons respectives de la Lune et du Soleil, et  et , leurs angles horaires respectifs.

4.5.2.2 Les composantes principales du développement

Pour obtenir son développement du potentiel, Doodson a calculé chacun des trois termes de (4.21) sous la forme :

(4.25)

avec :

Chaque terme du développement est une composante caractérisée par une combinaison de 6 nombres entiers. Doodson a mis en place l’emploi du nombre argument afin d’identifier les composantes. En remarquant que A est toujours positif et que B, C, D, E et F sont toujours compris entre -4 et +4, le nombre argument est :

(4.26)

Les composantes ayant le même A constituent une espèce. Les composantes qui ont le même A et le même B constituent un groupe. Enfin, celles qui ont le même A, le même B et le même C constituent un sous-groupe.

Nous reportons dans le Tableau 5 les principales composantes et leurs caractéristiques. Tous les coefficients ont été recalculés par nos soins. L’origine de l’onde est Lunaire (L) ou Solaire (S). Ces calculs nous ont permis d’une part de vérifier les calculs de Doodson et d’autre part ajouter les fréquences en radians par secondes des différentes ondes du spectre de marée. Ce tableau corrobore et complète les travaux de Doodson.

De ce Tableau 5, nous pouvons tirer plusieurs remarques. Bien que le développement de Doodson comporte plus de 400 composantes, celles qui sont sélectionnées ci-dessus représentent la plus grande partie de celles du potentiel générateur. Grâce à la période calculée des composantes, nous retrouvons les trois grandes classifications (espèces) des ondes de marée : les longues périodes (périodes supérieures au jour), les diurnes (périodes de l’ordre de la journée) et les semi-diurnes (périodes de l’ordre de la demi-journée). Enfin, ce qui caractérise principalement les trois différentes espèces, c’est , le temps solaire moyen multiplié par un coefficient égal à 0 pour les longues périodes, 1 pour les diurnes et 2 pour les semi-diurnes.
 

Nom de Darwin
Nombre de Doodson
Argument de
Doodson
Coef. harm.
Fréquence
(°/h)
Fréquence
(rad/s)
Période
(jours)
Origine
M0
055.555
-
0,50458
0
-
L
S0
055.555
-
0,23411
0
-
S
Sa
056.554
0,01176
0,0410667
0,0000001991
365,2594
S
Ssa
057.555
0,07287
0,0821373
0,0000003982
182,6211
S
Sta
058.554
0,00427
0,1232040
0,0000005973
121,7493
S
Msm
063.655
0,01578
0,4715211
0,0000022860
31,8119
L
Mm
065.455
0,08254
0,5443747
0,0000026392
27,5546
L
Msf
073.555
0,01370
1,0158958
0,0000049252
14,7653
L
Mf
075.555
0,15642
1,0980331
0,0000053234
13,6608
L
Mstm
083.655
0,00569
1,5695548
0,0000076094
9,5569
L
Mtm
085.455
0,02995
1,6424078
0,0000079626
9,1329
L
Msqm
093.555
0,00478
2,1139288
0,0000102486
7,0958
L
2Q1
125.755
0,00955
12,8442862
0,0000622709
1,1678
S
s1
127.555
0,01153
12,9271398
0,0000626725
1,1603
L
Q1
135.655
0,07216
13,3986609
0,0000649585
1,1195
S
r1
137.455
0,01371
13,4715145
0,0000653117
1,1135
L
O1
145.555
0,37689
13,9430356
0,0000675977
1,0758
L
t1
147.555
0,00491
14,0251729
0,0000679960
1,0695
M11
155.655
0,02964
14,4966939
0,0000702820
1,0347
L
M12
155.655
0,01040
14,4874103
0,0000702369
1,0295
L
c1
157.455
0,00566
14,5695476
0,0000706352
1,0295
L
p1
162.556
0,01029
14,9178647
0,0000723238
1,0055
S
P1
163.555
0,17554
14,9589314
0,0000725229
1,0027
S
K1L
165.555
0,36233
15,0410686
0,0000729212
0,9973
L
K1S
165.555
0,16817
15,0410686
0,0000729212
0,9973
S
y1
166.554
0,00423
15,0821353
0,0000731203
0,9946
S
j1
167.555
0,00756
15,1232059
0,0000733194
0,9919
S
q1
173.655
0,00566
15,5125897
0,0000752072
0,9670
L
J1
175.455
0,02954
15,5854433
0,0000755604
0,9624
L
SO1
183.455
0,00492
16,0569644
0,0000778464
0,9342
L
OO1
185.655
0,01623
16,1391017
0,0000782446
0,9294
L
n1
195.455
0,00311
16,6834764
0,0000808838
0,8991
L
e2
227.655
0,00671
27,3416964
0,0001325563
0,5486
L
2N2
235.755
0,02301
27,9692084
0,0001355985
0,5363
L
m2
237.555
0,02777
27,9682084
0,0001355937
0,5363
L
N2
245.655
0,17387
28,4397295
0,0001378797
0,5274
L
n2
247.455
0,03303
28,512583
0,0001382329
0,5261
L
M2
255.555
0,90812
28,9841042
0,0001405189
0,5175
L
l2
263.655
0,00670
29,4556253
0,0001428049
0,5092
L
L2
265.455
0,02567
29,5377626
0,0001432031
0,5078
L
T2
272.556
0,02479
29,5589333
0,0001433058
0,5075
S
S2
273.555
0,42286
30,0000000
0,0001454441
0,5000
S
R2
274.554
0,00354
30,0410667
0,0001456432
0,4993
S
K2S
275.555
0,03648
30,0821373
0,0001458423
0,4986
S
K2L
275.555
0,07858
30,0821373
0,0001458423
0,4986
L

Tableau 5 : Principales composantes extraites du développement de Doodson (calculs de l’auteur)

4.5.2.3 Interprétation des composantes

Dans le cas où la Lune serait le seul astre perturbateur évoluant dans le plan équatorial suivant un mouvement circulaire uniforme, la force génératrice des marées engendrerait une élévation périodique sinusoïdale élémentaire du niveau des océans. Cependant, de très nombreuses perturbations rendent cette force beaucoup plus complexe. Comme nous l’avons vu au paragraphe 4.4, le Soleil exerce aussi une force génératrice des marées. Et ces deux astres perturbateurs ont des mouvements beaucoup plus complexes qu’une simple rotation circulaire dans le plan équatorial. En effet, leurs distances à la Terre varient, leurs orbites sont elliptiques et non circulaire, et elles sont contenues dans un plan dont l’angle varie avec le plan équatorial terrestre. La Lune, le Soleil et la Terre interagissent entre eux et modifient les trajectoires orbitales. Il s’ensuit donc que la force génératrice excessivement complexe des marées peut-être en fait, lord Kelvin fut le premier à l’énoncer, égale à la somme de forces élémentaires qui chacune génère une variation sinusoïdale simple de la surface des océans. Cette interprétation de l’origine des marées revient à considérer qu’elles sont générées par une multitude d’astres fictifs de masses différentes qui évolueraient à différentes distances du centre de la Terre, dans son plan équatorial et suivant différentes périodes de révolution. Ainsi chacune de ces forces élémentaires crée une onde de marée en apportant une contribution sinusoïdale aux élévations maritimes qui est caractérisée par une amplitude et une phase. Le développement de Doodson donne ces valeurs. Chacune des variations élémentaires du niveau de l’eau s’appelle une composante harmonique. La représentation de ces ondes (amplitude en fonction de la fréquence de l’onde considérée) constitue le spectre de marée déterminé à partir des élévations dans le temps du niveau des océans en un point donné. L’analyse spectrale permet de différencier les différentes composantes en un lieu donné et l’analyse harmonique (calcul mathématique basé sur la théorie du signal) fournit l’amplitude et la phase de chacune de ces composantes.

Le nom donné par Darwin à chacune des composantes de la marée (M2, K1…) caractérise l’origine de la force génératrice élémentaire. Déterminons l’origine des principales ondes de marée suivant l’amplitude donnée par le coefficient harmonique du développement de Doodson (cf. Tableau 5). La composante la plus importante est M2(en anglais : M=Moon, 2=semi-diurne). C’est la composante lunaire principale due à un astre fictif de la taille de la Lune évoluant suivant une orbite circulaire dans le plan de l’équateur terrestre. Sa période est de 0,5175 jours soit 12h25min, ce qui correspond approximativement à la période séparant deux basses mers et deux pleines mers le long des côtes atlantiques européennes (la moitié du jour lunaire moyen). Elle est encadrée par plusieurs composantes à variations elliptiques de sa période dont les deux plus importantes sont L2 l’elliptique lunaire mineure de M2 et N2 l’elliptique lunaire majeure de M2 (la lettre M est entre L et N dans l’alphabet). N2 est induite par les variations de la distance entre la Terre et la Lune. L’équivalent de M2 pour la lune est S2 pour le Soleil (en anglais : S=Sun, 2=semi-diurne) dont la période est exactement 0,5 jours soit 12h00min ce qui correspond à une demi-journée de jour sidéral. S2 est elle aussi encadrée de plusieurs composantes à variations elliptiques de sa période. Les deux plus importantes sont R2 l’elliptique solaire mineure de S2 et T2 l’elliptique solaire majeure de S2 (R et T encadrent S). Enfin il existe K2L et K2S deux composantes qui, ayant le même nombre de Doodson et la même période mais dont l’une à pour origine la Lune et l’autre le Soleil, sont dénommées de manière identique. C’est pourquoi K2 est nommée déclinationnelle luni-solaire semi-diurne. Elle est liée à la variation des déclinaisons de la Lune et du Soleil.

Les ondes de l’espèce diurne sont dues à la déclinaison de la Lune et su Soleil. Elles engendrent des inégalités diurnes de la force génératrice des marées. La composante principale est K1. Tout comme K2, elle se compose d’une partie lunaire, K1L et d’une partie solaire K1S. K1 est nommée déclinationnelle luni-solaire diurne. Sa période est de 0,9973 jours soit 23h56min11s. O1 est la composante lunaire diurne principale et est induite par les variations de la déclinaison de la Lune. P1 est la composante solaire diurne principale et est générée par les variations de déclinaison du Soleil. K1 et O1sont encadrées de plusieurs composantes qui correspondent à des variations elliptiques par rapport à leurs périodes. Ainsi, Q1 est la composante elliptique majeure de O1.

Enfin, l’espèce des longues périodes est plus particulière. M0 et S0correspondent aux termes permanents de la marée. M0 est l’onde lunaire permanente et S0 est l’onde solaire permanente. En considérant une Terre entièrement recouverte d’une fine pellicule d’eau correspondant aux océans, l’équilibre statique est tout le temps vérifié pour les ondes longues périodes. Les continents ont donc très peu d’influence sur cette espèce d’onde. Dans le développement harmonique de Doodson, la Terre est supposée rigide, ce qui n’est pas le cas. En effet, elle présente une certaine élasticité, qui fait que la force génératrice des marées s’applique, elle aussi, aux continents et aux terres submergées. La marée calculée n’est donc pas la marée réelle, car le plancher océanique se soulève et s’abaisse lui aussi. Il faut donc tenir compte de ce phénomène pour obtenir la marée réelle. Les termes permanents de la marée sont représentatifs de ce phénomène. En général, leurs effets sont pris en compte dans le phénomène des marées terrestres qui sont soustraites aux marées calculées pour accéder à la marée réelle (cf. Chapitre 6). Sa est l’onde solaire annuelle (en anglais : S=Sun, a=annual) due aux variations de la longitude moyenne du Soleil par rapport à son périgée. Sa période est légèrement supérieure à l’année tropique soit 365,26 jours. De même pour la Lune, il existe Mm qui est l’onde lunaire moyenne mensuelle (en anglais : M=Moon, m=monthly), de période 27,55 jours soit un peu plus que la durée d’une révolution sidérale moyenne de la Lune. Enfin, les variations des déclinaisons du Soleil et de la Lune engendrent respectivement Ssa (en anglais : S=Sun, sa=semi-annual) l’onde déclinationnelle solaire semi-annuelle et Mf (en anglais : M=Moon, f=fortnigthly) l’onde déclinationnelle lunaire semi-mensuelle.

4.5.3 Le développement de Cartwright et Tayler

Ce développement [Cartwright and Eden, 1973; Cartwright and Tayler, 1971] a été calculé numériquement pour vérifier les résultats de Doodson. Il utilise des éphémérides de grandes précisions pour la Lune et le Soleil ainsi que de nouvelles constantes astronomiques. Les auteurs ont exprimé le potentiel générateur des marées sous la forme :

(4.27)

étant le conjugué complexe qui correspond à la marée d’équilibre à Greenwich, de degré l et d’ordre m. Les parties réelles et imaginaires de  comprennent les paramètres nodaux [Munk and Cartwright, 1966]. Les  sont les harmoniques sphériques complexes qui dépendent uniquement du lieu considéré :

(4.28)

avec :

Les facteurs de normalisation sont donnés par :

(4.29)

Cartwright et Tayler ont directement calculé les éphémérides de la Lune et du Soleil et ils ont pris en compte la très légère variation de l’angle de l’écliptique avec l’équateur terrestre. Ce qui entraîne que leurs coefficients harmoniques du potentiel générateur, contrairement à ceux de Doodson, varient très légèrement dans le temps. Le développement du potentiel par Doodson est analytique tandis que celui de Cartwright et Tayler en extrait les différents termes du potentiel en faisant une FFT (Fast Fourier Transform) d’éphémérides. Cependant, les résultats sont très comparables. Les écarts entre les coefficients harmoniques de Doodson et ceux de Cartwright et Tayler n’excèdent pas 0,1%.

C’est pourquoi, dans la suite de notre étude, nous utiliserons le développement du potentiel générateur de Doodson pour tous nos calculs.

4.5.4 Le développement de Hartmann et Wenzel

Bien que le développement de Doodson soit de qualité suffisante pour nos travaux sur les marées, il est à noter qu’au cours des années 1990, des développements beaucoup plus précis du potentiel astronomique ont été proposés. En particulier le développement de Hartmann et Wenzel [1994; 1995] contient 12935 ondes incluant 1483 ondes directement dues aux effets des planètes. Les auteurs ont pris en considération les potentiels générateurs astronomiques de la Lune, du Soleil et des planètes Vénus, Jupiter, Mars, Mercure et Saturne. Ils ont utilisé des constantes astronomiques et des algorithmes de calculs modernes ainsi que les éphémérides numériques les plus précises qu’ils avaient à disposition. Ces deux auteurs ont ainsi produit le catalogue HW95.
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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000