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Chapitre 5 Les équations générales de la marée

5.1 Présentation du chapitre

Les développements du potentiel générateur de la marée du chapitre précédent nous permettent d’envisager une résolution de la marée par des méthodes harmoniques. L’introduction des équations de marées en plein océan et en petits fonds va nous permettre de modéliser la marée. En particulier la linéarisation du coefficient de frottement autorise la résolution de ces équations tout à la fois en zones pélagiques et en zones littorales. Cette linéarisation fait apparaître d’autres ondes non harmoniques présentes dans le spectre de marée qui seront caractérisées.

5.2 Réponse de l’océan à l’excitation du potentiel générateur

5.2.1 Equations des ondes longues

5.2.1.1 Equations de Navier-Stokes

La mécanique des fluides nous donne les équations du mouvement d’un fluide de viscosité constante en milieu tournant. Ce sont les équations de Navier-Stokes [Gill, 1982] :

(5.30)

avec :

La première équation de (5.30) est l’équation de continuité (ou équation de conservation de la masse) et la deuxième est l’équation de conservation de la quantité de mouvement.

Par définition la dérivé particulaire est :

5.2.1.2 Hypothèse des ondes longues

Dans le cadre de l’étude des marées océaniques la résolution des équations de la marée est complexe. Il faut les simplifier pour obtenir les équations de Laplace [Pekeris and Accad, 1969]. Ainsi, plusieurs approximations (légitimes comme nous allons le voir) doivent être faites. C’est pourquoi, nous assimilerons l’eau à un fluide incompressible. Nous négligerons les effets de la turbulence et donc, nous ne tiendrons pas compte des effets de viscosité. Dans ce cas, les équations de Navier-Stokes définies en (5.30) se simplifient et deviennent dans le repère terrestre  défini dans le paragraphe 3.3.1 :

(5.31)

avec :

Pour étudier les marées, deux hypothèses supplémentaires sont à considérer : Ces deux approximations constituent l’hypothèse des ondes longues. La première hypothèse est justifiée par les observations. L’amplitude de la marée est de l’ordre du mètre, alors que pour les ondes semi-diurnes la période est d’une demi-journée. C’est-à-dire que les ondes de marées parcourent le tour de la Terre (environ 40000 km) en 12h environ et s’élèvent et s’abaissent d’un mètre environ pendant cette même période. Les vitesses verticales sont donc négligeables. La seconde hypothèse se justifie par le fait que les océans sont une couche de fluide mince à la surface de la Terre. En effet, la profondeur moyenne des océans est de l’ordre de 4 kilomètres alors que leurs dimensions horizontales sont de l’ordre du millier de kilomètres. Le déplacement des masses d’eau peut donc être considéré comme uniforme sur toute la colonne d’eau.

En outre à (5.31), il faut ajouter des conditions aux limites, en surface (la pression de l’eau est égale à la pression atmosphérique) et au fond (vitesse normale au plancher océanique donc nulle au fond).

Avec l’hypothèse de la vitesse horizontale nulle, on montre que :

(5.32)

avec :

Nous avons :

(5.33)

avec :

Avec toutes ces hypothèses justifiées dans le cadre de l’étude des marées océaniques qui sont des ondes longues, (5.31) se simplifie en :

(5.34)

5.2.2 Equations linéarisées de la marée

Loin des côtes, les courants de marée sont très faibles, tout comme leurs dérivées spatiales, donc :

(5.35)

De plus, comme nous l’avons vu,  reste petit devant H au large donc :

(5.36)

Enfin, au large, les forces de frottement sont négligeables par rapport aux autres forces en jeu. En effet, la couche turbulente qui se développe par frottement sur le fond est de dimension négligeable par rapport à la colonne d’eau considérée et mise en mouvement par la force génératrice des marées. Donc nous obtenons grâce à (5.35) et (5.36) une linéarisation de (5.34). Ce sont les équations linéarisées de la marée :

(5.37)

5.2.3 Equations des marées littorales

En zones littorales (petits fonds, zones côtières, mers littorales, plateaux océaniques…) les hypothèses faites pour obtenir les équations linéarisées de la marée ne sont plus applicables. D’une part, nous ne pouvons négliger le terme de frottement sur le plancher océanique car la couche limite turbulente développée sur le fond par la colonne d’eau, mise en mouvement par la force génératrice des marées, est de l’ordre de la dimension de cette colonne. D’autre part, nous ne pouvons plus négliger les termes non linéaires des vitesses car les gradients topographiques en petits fonds modifient rapidement la hauteur de la colonne d’eau en mouvement.

Les hypothèses classiques qui caractérisent les marées littorales [Hyacinthe and Kravtchenko, 1967] sont adaptées à notre cas par Le Provost [1973] :

Ainsi, cette force de frottement est donnée par :

(5.38)

avec :

Le coefficient de frottement est déterminé empiriquement. Nous donnons dans les chapitres suivants des ordres de grandeurs et des valeurs de ce coefficient. C’est un terme quadratique.

Avec (5.34) et (5.38), nous obtenons les équations des marées littorales :

(5.39)

5.3 Influence du coefficient de frottement

5.3.1 Expression du niveau de la surface océanique due au potentiel

Comme nous l’avons vu dans le Chapitre 4, le potentiel générateur des marées peut se décomposer en une somme de fonctions sinusoïdales élémentaires. L’expression des équations linéarisées de la marée amène donc à chercher la dénivellation du niveau des océans créée par la force génératrice des marées, dont dérive le potentiel, sous la forme d’une somme de fonctions sinusoïdales élémentaires :

(5.40)

où :

et  ne dépendent que de la position du point considéré à la surface des océans (latitude et longitude).

En fait une expression plus complète de la dénivellation de la surface libre est donnée par Doodson :

(5.41)

avec :

Les coefficients de correction nodale représentent les très faibles variations des nœuds des astres perturbateurs sur l’écliptique. Des valeurs de ces coefficients sont données par Schureman [1958].

5.3.2 Expression des vitesses dues au potentiel

Comme les vitesses de marées dérivent directement de la dénivellation, nous pouvons aussi rechercher ces vitesses sous la décomposition similaire de somme de fonctions sinusoïdales élémentaires :

(5.42)

5.3.3 Introduction du coefficient de frottement

L’introduction d’un terme de frottement dans les équations de marées permet une meilleure modélisation du phénomène en zones côtières. Jusqu’à présent, nous n’avons considéré que les ondes de marées générées par le potentiel astronomique. Ces ondes sont dites ondes astronomiques. Cependant, nous allons voir dans la suite que d’autres ondes s’ajoutent au spectre de marée. En effet, du fait de la complexité non-linéaire de la propagation des ondes de marées en petits fonds, des ondes apparaissent. Nous les retrouvons dans la décomposition du terme de frottement de fond. Ces ondes non linéaires apparaissent avec des fréquences supérieures à celles des ondes astronomiques.

Les équations de la marée posent un problème de taille : le coefficient de frottement est un terme quadratique de la vitesse, alors que le reste des équations est linéaire. Linéariser le terme de frottement permettrait donc de linéariser les équations de la marée et ainsi de les résoudre. Dans son travail de thèse, Le Provost [1973] a décomposé le terme quadratique de frottement d’une marée multipériodique dans un domaine bidimensionnel, à la condition qu’une composante du spectre de la marée étudiée soit dominante. Par définition une onde de marée est dite dominante, si l’amplitude de sa vitesse est toujours strictement positive et si l’amplitude maximale de sa vitesse dépasse strictement la vitesse résultante créée par l’ensemble des autres composantes. Cette dernière hypothèse est largement vérifiée de par le monde, grâce aux nombreux spectres de marées déduits de l’analyse des signaux relevés par les marégraphes. En général, l’onde dominante est M2 voire K1. C’est donc une constatation expérimentale. Le Provost [1973] a cherché les développements limités généralisés de Fourier des deux composantes du coefficient de frottement et en a donné l’expression grâce à une hypothèse, vérifiée expérimentalement dans la Manche, d’existence d’une onde dominante.

5.3.4 Décomposition du coefficient de frottement

Les travaux de Le Provost [1973] finalisés avec ceux de Le Provost et al. [1981] donnent l’expression linéarisée du coefficient de frottement. Cette formulation est rappelée dans le Chapitre 6 quand nous introduisons les équations spécifiquement utilisées dans le modèle hydrodynamique.

5.4 Ondes de marées non astronomiques

5.4.1 Ondes non linéaires

Grâce à la linéarisation du coefficient de frottement, nous pouvons donc introduire les expressions sinusoïdales (5.40) de la dénivellation dans (5.39). Du fait du terme quadratique , des termes en  apparaissent.

Par les formules de linéarisations trigonométriques, nous pouvons simplifier ces produits de fonctions sinusoïdales en :

avec :

Ainsi, des termes provenant de la non-linéarité du coefficient de frottement sont déduits des équations de la marée. Ces termes ont des fréquences particulières qui sont des combinaisons linéaires des fréquences des composantes astronomiques, chacune pondérée par un entier. Ces nouvelles ondes qui apparaissent en petits fonds sont des ondes d’interactions de fréquences égales à la combinaison linéaire de deux, trois (ou plus) fréquences des termes du potentiel astronomique. En effet elles sont bien la conséquence de l’interaction de plusieurs ondes astronomiques.

Parmi ces ondes, nous distinguerons :

Dans la décomposition du spectre de marée, les ondes composées proviennent en très grande majorité des ondes M2, S2, K2, N2, K1, et O1. Les deux principales ondes qui génèrent des ondes supérieures sont M2 et S2.

Ces ondes sont dénommées en fonction des ondes astronomiques dont elles sont issues. Par exemple :

Elles sont plus ou moins importantes en petits fonds car elles sont largement dépendantes de la géométrie du milieu où se propagent les ondes astronomiques de marées . En effet, étant formées par le frottement de la colonne d’eau considérée sur le fond océanique, elles sont générées par l’amplification de certaines ondes par résonance ou réflexion sur la rugosité du fond et des côtes. Les ondes non linéaires les plus importantes sont données dans le Tableau 6 [Bessero, 1985].
 

Nom de
Darwin
Nombre de
Doodson
Fréquence
(°/h)
Période
(jours)
Espèce
2SM2
291.555
31,0158958
0,48362298
semi-diurne
2MS2
237.555
27,9682084
0,53632323
semi-diurne
M4
455.555
57,9682084
0,25876253
quart-diurne
MS4
473.555
58,9841042
0,2543058
quart-diurne
M6
655.555
86,9523127
0,17250835
sixième-diurne
2MS6
673.555
87,9682084
0,17051615
sixième-diurne
M8
863.655
115,9364169
0,12938126
sixième-diurne
3MS8
873.555
116,9523127
0,1282574
huitième-diurne

Tableau 6 : Principales composantes non linéaires

Il faut noter que certaines ondes non-linéaires ont exactement la même fréquence que certaines ondes astronomiques. Ainsi en est-il de 2MS2 et de  (fréquence de 27,9682084°/h) ainsi que de 2MN2 et L2 (fréquence de 29,5377626°/h). Au cours de l’analyse harmonique d’un signal de marée mesuré, il est donc impossible de distinguer la partie astronomique et la partie non-linéaire de ces ondes de même fréquence.

5.4.2 Ondes météorologiques

Nous avons vu que nous pouvons trouver dans le spectre de marée des ondes d’origine non linéaire. Mais ce ne sont pas les seules ondes d’origine non astronomique. En effet d’autres phénomènes qui, s’ils sont périodiques, peuvent générer des ondes périodiques qui s’inséreront dans le spectre. Ainsi, le vent établi ou le réchauffement de l’eau par Soleil peut générer des ondes périodiques. Les trois seules ondes d’origine météorologique prises en compte dans l’étude des marées sont S1, Sa, et Ssa. Elles font aussi toutes les trois parties du potentiel astronomique mais ont des coefficients très faibles. Leurs origines sont donc principalement météorologiques :
Nom de
Darwin
Nombre de
Doodson
Fréquence
(°/h)
Période
(jours)
Espèce
Sa
056.555
0,0410667
365,2594
longue période
Ssa
057.555
0,0821373
182,6211
longue période
S1
164.555
15,000000
1,0000
diurne

Tableau 7 : Principales composantes météorologiques

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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000