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Chapitre 6 Le modèle hydrodynamique éléments finis de marées

6.1 Présentation du chapitre

Dans les chapitres précédents, nous avions simplifié la réponse de l’océan à l’excitation du potentiel astronomique en considérant le plancher océanique indéformable et en ne tenant pas compte des effets internes qu’induisent les marées sur les masses d’eau qu’elles mettent en mouvement. Nous allons maintenant tenir compte de tous ces effets supplémentaires afin de corriger le potentiel générateur astronomique pour obtenir le potentiel dit ‘potentiel de marée global’. Puis nous nous intéresserons à la formulation hydrodynamique des équations de marées afin de pouvoir les résoudre sur un maillage éléments finis. Nous donnerons alors un aperçu de la modélisation de la marée par notre code de calcul CEFMO (Code Eléments Finis pour la Marée Océanique).

6.2 La marée dans le modèle

6.2.1 Définitions

Dans le cas de l’étude des marées océaniques, il faut que nous nous fixions un référentiel. En effet, les variations de hauteur d’eau qu’engendrent le potentiel générateur, doivent être données en fonction d’une origine. C’est pourquoi, il faut tenir compte de toutes les corrections à apporter au potentiel générateur astronomique. Ces corrections sont formulées par la suite sous forme de potentiels qui doivent être ajoutés ou retranchés au potentiel générateur astronomique pour obtenir le potentiel de marées qui est à l’origine des dénivellations constatées sur l’ensemble des océans.

6.2.2 Marées terrestres astronomiques

Jusqu’à présent la Terre était considérée comme indéformable, ce qui n’est pas le cas en réalité. La force génératrice s’applique aussi sur les parties terrestres de notre globe. La réponse de la Terre à cette excitation du potentiel est statique et élastique, comme si la Terre était une boule d’acier. Aucun courant de fluide ne peut avoir lieu dans la partie solide. Donc, dans le cas de la Terre, la théorie statique des marées développées par Newton peut s’appliquer. En effet, les mouvements des particules de la Terre ne pouvant qu’être très petits sous l’influence de la force génératrice des marées (la matière considérée est solide et non plus liquide), l’équilibre est quasiment toujours atteint. Ce phénomène entraîne donc une élévation des fonds marins. Love [1911] a estimé cette élévation en fonction du potentiel générateur des marées :

(6.43)

avec k un nombre de Love estimé constant et égal à 0,6.

6.2.3 Perturbations dues aux marées terrestres

Comme la Terre est sensible à l’attraction astronomique, la déformation du volume terrestre induit une nouvelle répartition des charges à l’intérieur de la Terre ce qui entraîne une modification du champ gravitationnel terrestre. Ce phénomène est pris en compte par une correction du potentiel générateur. Cette correction est un potentiel estimé par Love [1911] :

(6.44)

avec h un nombre de Love constant sur l’ensemble du globe terrestre et égal à 0,3.

6.2.4 Effets de charges et d’auto-attraction

Au cours du temps, les marées océaniques modifient la répartition des masses d’eau océaniques. Tout comme la marée terrestre, ceci se traduit par la correction de la dénivellation issue d’un phénomène appelé effets de charge. Farrell [1972] fut un des premiers à étudier l’effet des surcharges dues aux bourrelets d’eau engendrés par les marées océaniques sur la déformation de la croûte terrestre. En développant en harmoniques sphériques la dénivellation relative du niveau de la mer par rapport à la position locale de la croûte terrestre, Hendershott [1972] a montré que la dénivellation issue des effets de charge s’écrit au point de coordonnées  :

(6.45)

avec :

La prise en compte de cette perturbation suppose une connaissance a priori de la marée océanique si nous voulons garder le caractère explicite du problème. En outre, de même que pour les marées terrestres, cette dénivellation due aux effets de charge modifie le champ de pesanteur, ce qui amène une autre perturbation du potentiel générateur des marées qui se traduit sous la forme d’un potentiel d’auto-attraction [Hendershott, 1972] :

(6.46)

avec :

Avec cette formulation Francis et Mazzega [1990] ont calculé des cartes mondiales du potentiel de charge qui sont utilisées dans notre modèle, en utilisant la solution mondiale de Schwiderski [1980c]. L’expression de la fonction de charge  est donnée dans leur papier.

6.2.5 Potentiel générateur total

Hendershott [1972], fut le premier à prendre en compte toutes les corrections du potentiel développées ci-dessus. Le potentiel total des marées que nous devons utiliser dans notre étude s’écrit donc sous la forme :

(6.47)

avec :

6.3 Equations du modèle hydrodynamique

6.3.1 Equations du modèle

La formulation des équations utilisées dans le modèle hydrodynamique CEFMO a été initialisée par Le Provost [1986] puis développée dans des travaux ultérieurs [Le Provost et al., 1994]. Nous rappelons ici les principales étapes de la formulation des équations hydrodynamiques utilisées dans le modèle CEFMO. Ces équations sont basées sur les équations littorales de la marée océanique et projetées en coordonnées sphériques. La viscosité horizontale est négligée et la dissipation est supposée avoir lieu dans une couche limite mince près du fond. Les non-linéarités provenant des termes d’advection et de dissipation sont résolues par une méthode de perturbation. Nous obtenons ainsi un système harmonique d’équations quasi linéarisées.

Reprenons les équations littorales de la marée introduites dans le Chapitre 5, et tenons compte des corrections à apporter aux forçages et à la position absolue du fond océanique. Rappelons les différentes hypothèses faites sur le fluide océanique qui nous conduisent aux équations utilisées dans le modèle à savoir que ce fluide est :

Dans ce cas, l’équation de continuité est :

(6.48)

L’équation du moment dans sa forme non conservative est :

(6.49)

avec :

Dans les chapitres précédents, la linéarisation du coefficient de frottement nous a permis d’obtenir des relations linéaires pour les équations (6.48) et (6.49). Or nous étudions le phénomène des marées qui est une somme de fonctions sinusoïdales élémentaires. A chaque fonction est associée une composante k du développement du potentiel générateur qui a une fréquence propre . Nous pouvons donc résoudre les équations (6.48) et (6.49) séparément pour chacune des composantes de la marée. Introduisons la notation complexe associée à la fréquence  pour les différentes variables (la dénivellation et les deux composantes de la vitesse). Pour simplifier les notations nous écrirons  au lieu de  : En nous plaçant en coordonnées sphériques, à partir de (6.48) nous obtenons pour la dénivellation :

(6.50)

et à partir de (6.49) nous obtenons pour les vitesses :

(6.51)

(6.52)

avec :

Coefficient
Onde dominante
Autres ondes
r
r'
r''
r'''
R
R'
R''
0

Tableau 8 : Expressions des coefficients de frottements quasi linéarisés

avec :

Ces coefficients dépendent des caractéristiques des ondes majeures d'où la nécessité d'utiliser une méthode itérative pour résoudre le problème.

Afin de simplifier l’écriture de (6.51) et (6.52), reprenons les notations introduites par Lyard [1999] et posons :

(6.53)

(6.54)

soit après inversion ( étant le déterminant de la matrice carrée M) :

avec  (6.55)

Posons  le forçage complexe de marées.

Sachant qu’en coordonnées sphériques le gradient de la dénivellation est :

(6.56)

car les variations de la dénivellation sont supposées très petites devant le rayon terrestre. Nous déduisons de (6.51), (6.52), (6.54) et (6.56) :

Après simplifications nous obtenons les vitesses :

(6.57)

Nous pouvons alors remplacer u donnée par (6.57) dans (6.50) :

(6.58)

6.3.2 Système hydrodynamique

Soit le domaine de modélisation. Posons  :

(6.59)

(6.60)

Considérant que les conditions aux limites répondent :

Le système hydrodynamique à résoudre se résume donc par :

(6.61)

6.3.3 Expression du système

Nous allons nous intéresser plus particulièrement à l’expression du système hydrodynamique dans le cadre de notre étude. Nous pouvons montrer que le système (6.61) peut s’écrire sous la forme [Le Provost and Poncet, 1978] :

(6.62)

avec A, B, C, D et F des fonctions des coefficients de frottements r, r’, r’’ et r’’’ (cf. Tableau 8), de la fréquence  de l’onde de marée considérée, de f le paramètre de Coriolis et de  et  les forçages de la marée globale. L’expression de ces coefficients est :

La formulation elliptique de (6.62) nous assure l'existence et l'unicité de la solution, suivant la formulation variationnelle proposée par Le Provost et Poncet [1978]. Mathématiquement, la résolution de ce type de problème peut se faire par éléments finis [Le Provost and Poncet, 1978].

6.4 Résolution par les éléments finis

6.4.1 Principe

Initiés par les travaux de Schwiderski [1980a; 1980b; 1986], la plupart des modèles hydrodynamiques globaux de marées océaniques sont résolus sur des grilles éléments finis à pas constant en latitude et en longitude, ce qui empêche un raffinement dans certaines spécifiques. Dans notre cas, la résolution des équations définies précédemment se fait sur des grilles éléments finis. Dans notre cas, les éléments finis sont des triangles. En définissant un maillage constitué de ces éléments finis, il est possible de calculer les inconnues des équations de la marée : la dénivellation et les deux composantes de la vitesse de marée. De nombreux travaux préliminaires ont été nécessaires à la mise en place de la résolution globale de la marée par les éléments finis [Canceil, 1993; Genco, 1993; Lyard, 1992; Poncet, 1979; Rougier, 1979; Vincent, 1979].

6.4.2 Discrétisation

6.4.2.1 Maillage du domaine

Pour les calculs des solutions FES à l’échelle globale, les équations sont résolues sur un maillage global éléments finis. Dans un premier temps la génération d’un maillage étant longue, nous avons réutilisé le maillage élément finis couvrant globalement les océans. Ce maillage fut construit aux cours de différentes thèses [Canceil, 1993; Genco, 1993; Lyard, 1992]. Chacun des auteurs a entrepris des portions de maillage. L’assemblage de ces différentes portions forme le maillage global (cf. Figure 45 du Chapitre 10). Les maillages ont été réalisés avec le mailleur Trigrid [1990]. Chaque élément triangulaire du maillage est Lagrange P2, c’est-à-dire que les dénivellations sont calculées pour les 3 sommets des triangles ainsi que pour les 3 milieux des côtés d’un triangle, soit 6 nœuds en tout. Les vitesses sont calculées aux 7 points de Gauss ce qui permet d’obtenir une interpolation des vitesses et de les dériver pour en déduire la dénivellation aux nœuds. La Figure 12 représente un des éléments triangulaires du maillage. Les points noirs représentent les 6 nœuds de calculs et les points rouges, les points de Gauss.


Figure 12 : Elément triangulaire Lagrange P2

Pour bien représenter une onde de marée, Le Provost et Vincent [1986] ont proposé un critère local déterminant la distance maximale  admissible entre deux nœuds du maillage :

(6.63)

avec :

Ainsi, nous avons de grandes mailles pour des eaux profondes et des mailles resserrées pour les zones littorales. Ce critère variant peu avec la pulsation de l'onde considérée, c’est l'onde M2 qui a été choisie pour déterminer les tailles des mailles qui sont identiques pour toutes les ondes. L’ordre de grandeur de la distance entre deux nœuds P2 est d’environ 10 kilomètres le long des côtes et d’environ 200 kilomètres en plein océan.

6.4.2.2 Ressources informatiques

Etant donné le nombre de points des maillages éléments finis, les ressources informatiques doivent être importantes pour résoudre les équations de l’hydrodynamique. Les calculs de la dénivellation nécessitent par conséquent une grande place en mémoire vive et du support disque pour effectuer les sauvegardes. C'est pourquoi tous les calculs sont effectués sur les supercalculateurs Cray de l'IDRIS (Institut du Développement et des Ressources en Informatique Scientifique). Cet institut fondé en novembre 1993 est le centre majeur du CNRS pour le calcul numérique intensif de haute performance.

Nous donnons pour information, les caractéristiques des supercalculateurs utilisés dans le cadre de notre modélisation hydrodynamique. Les supercalculateurs sont deux machines vectorielles Cray dénommées C94 et C98.

6.5 Bilan

Nous avons mis en place les équations de l’hydrodynamiques appliquées aux marées. La résolution de ces équations sur un maillage éléments finis nous permet maintenant de produire des solutions de marées globales à l’échelle mondiale. Notons que cette méthode de calcul a servi de base à la production des solutions de marées FES94.1 [Le Provost et al., 1994] et FES95.2 [Le Provost et al., 1998]. Nous allons voir dans la suite quels sont les paramètres à réviser afin d’améliorer encore la précision de la modélisation des marées par la méthode des éléments finis. Ainsi, nous allons introduire la notion d’assimilation de données afin de tenir compte des informations de terrain grâce à la mesure marégraphique et la mesure altimétrique. En effet, si ces données sont extrêmement intéressantes pour la validation des modèles de marées, elles sont tout aussi intéressantes pour l’amélioration des modèles par l’assimilation. C’est pourquoi, dans la partie suivante, nous nous intéressons tout particulièrement à ces types de mesures afin d’en détacher les qualités et les défauts. Ainsi pourrons les utiliser afin de produire nos futurs modèles.
Partie II
Observations de la marée

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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000