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Chapitre 7 Mesures marégraphiques

7.1 Présentation du chapitre

Dans toute étude visant à modéliser un phénomène physique, il est nécessaire de confronter les sorties de modèles avec des données de terrain. Le domaine de la marée est particulièrement bien doté en mesures in situ. En effet, depuis plus de deux siècles maintenant, de nombreux appareils de mesures ont été déployés le long des côtes de l’océan mondial. Ces appareils fournissent des séries temporelles des variations du niveau de la mer qui, après analyses, permettent d’obtenir les caractéristiques des composantes du spectre de marée à l’endroit de l’appareil. En outre, depuis quelques décennies, de nouveaux types d’appareils ont été placés en zone de grands fonds afin de mesurer la marée et pouvoir agrandir la répartition spatiale des mesures marégraphiques. Des bases de données ont ainsi été constituées pour mieux répondre à la demande scientifique.

Après avoir brièvement introduit les techniques de mesures et d’extraction du signal marégraphique, nous nous proposons de présenter ces bases de données. Puis nous introduirons deux sélections extraites de ces bases dont l’une est représentative de la marée en plein océan et l’autre de la marée en petits fonds.

7.2 Mesures marégraphiques

7.2.1 Appareils marégraphiques

Les appareils qui servent à mesurer la marée sont les marégraphes. C’est en fait un abus de langage car ils ne mesurent pas directement les dénivellations issues de la marée seule. En effet, les marégraphes mesurent les variations du niveau de la mer et c’est l’analyse de ces variations qui permet d’en déduire les composantes du spectre de marée à l’emplacement de l’appareil. Laplace fut le premier au 18ème siècle à mettre en place un marégraphe à Brest durant 3 ans pour obtenir des mesures continues du niveau de la mer. Il voulait vérifier la nouvelle théorie dynamique des marées qu’il avait formulée, afin de montrer les limites de la théorie statique de Newton [Wöppelman, 1997].

Depuis cette époque, de nombreux types de marégraphes sont conçus. Les premiers sont de simples échelles graduées où la hauteur de mer est lue par un opérateur à intervalles réguliers. Puis des marégraphes mécaniques (plus connus sous le terme de marégraphes à flotteurs) apparaissent. Un système mécanique plus ou moins complexe relève les montées et les descentes d’un bouchon qui flotte à la surface (et donc les variations du niveau de la mer) sur un papier défilant à vitesse constante sur un cylindre. Ce type d’appareil permet de tracer directement sur une feuille la courbe de marée. Cependant, pour acquérir de bonnes mesures, le bouchon ne doit pas être perturbé par des effets de courtes longueurs d’onde, comme la houle ou les vagues, et la mise en place d’un puits de tranquilisation est indispensable bien que parfois difficile à installer. C’est pourquoi, d’autres types de marégraphes ont été construits. Les marégraphes à pression ont un capteur de pression au fond de l’eau à une position référencée, qui mesure la hauteur d’eau ainsi que la pression atmosphérique au-dessus d’un point de mesure immergé. Les marégraphes acoustiques (où marégraphes à ultrason) possèdent un émetteur acoustique de position référencée, au-dessus de la surface de l’eau qui mesurent la distance à la surface de l’eau grâce à une onde acoustique.

7.2.2 Extraction des composantes de la marée

Quel que soit l’appareil utilisé pour mesurer le niveau de la mer, il faut procéder à une analyse du signal mesuré. En effet, comme nous l’avons vu dans les chapitres précédents, c’est la décomposition du potentiel générateur de marée en fonctions sinusoïdales simples qui nous amène à étudier la marée sous la forme d’un spectre d’ondes. Il faut donc faire une analyse du signal temporel de marée pour accéder aux composantes en fréquences. Les fréquences de la marée étant connues, l’analyse harmonique des séries temporelles données par les mesures marégraphiques nous fournissent donc les composantes de la marée à l’endroit où est placé le marégraphe.

7.3 Bases de données marégraphiques

7.3.1 Sélection des bases

Comme nous le verrons plus loin, notre besoin de données in situ est important tout autant dans une optique de comparaison de nos sorties de modèles avec les mesures de terrain, mais aussi pour nos besoins de données à assimiler dans nos modèles. Dans les deux cas la qualité requise pour ces données de terrain est essentielle. Dans le cadre de notre étude, nous avons utilisé trois banques marégraphiques :

7.3.2 Base de données WOCE

Cette base de données marégraphiques a été constituée dans le cadre du World Ocean Circulation Experiment (WOCE) qui est un projet international mettant en place des moyens de mesures associés à des modèles numériques. Ce programme vise à améliorer la connaissance du rôle de la circulation océanique dans les changements du climat terrestre. Ce projet est une composante du World Climate Research Program (WCRP). 25 pays ont contribué à la collecte de mesures in situ et de mesures altimétriques entre 1990 et 1997 afin de caractériser l’océan mondial. Un des objectifs de ce programme a été de constituer une base de données marégraphiques composée de 197 données. La qualité des données est la meilleure disponible à ce jour et les analyses des signaux marégraphiques sont quantitativement importantes car la plupart présentent plus d’une vingtaine d’ondes. Nous donnons Figure 13 la répartition spatiale des appareils de mesures constituant cette base. Les données sont majoritairement situées dans les zones pélagiques et insulaires du Pacifique.


Figure 13 : Base de données marégraphiques WOCE

7.3.3 Base de données IAPSO

La base de données IAPSO (Inter-Agency Procurement Services Office) a été construite pour répondre au besoin de mesures marégraphiques de plein océan. En effet, durant de nombreuses années, les moyens techniques ne permettaient pas de mesurer le niveau de la mer ailleurs que dans les petits fonds. Il y a quelques décennies, les progrès en technologie d’appareils maritimes ont permis l’élaboration de marégraphes à pression de grands fonds. Posés pendant plusieurs mois sur des fonds océaniques de plusieurs milliers de mètres, ils enregistrent des séries temporelles (en général horaire) des variations du niveau de la mer en plein océan. Ces données sont d’une valeur scientifique inestimable car elles ne sont pas contaminées par les effets locaux de la topographie côtière et des petits fonds. Elles apportent une information nouvelle aux modèles globaux et peuvent être directement comparées aux données satellitaires. En plein océan, les mesures altimétriques ne sont pas détériorées par les corrections près des zones terrestres. La compilation de 348 données a été publiée en 1992 [Smithson, 1992] Pour chaque marégraphe, les huit ondes disponibles sont : M2, S2, N2, K2 , K1, O1, Q1 et P1. La Figure 14 donne la répartition des marégraphes constituant la base.


Figure 14 : Base de données marégraphiques IAPSO

Cette base couvre principalement les zones pélagiques de l’Atlantique Nord et du Pacifique Nord. Les données sont issues de marégraphes de fond. Elles sont potentiellement entachées d’une erreur sur la connaissance de la pression atmosphérique au moment des mesures. En outre, ces marégraphes ne mesurent pas les effets stériques journaliers que mesurent les marégraphes mécaniques. Il est donc nécessaire d’appliquer quelques corrections (ou de vérifier qu’elles ont été appliquées) avant d’exploiter leurs données.

7.3.4 Base de données BHI

Comme nous l’avons vu en introduction, de très nombreux instruments de mesure du niveau de la mer ont été disposés le long des côtes du global terrestre. Répondant à un besoin premier de prédiction locale de la marée, essentiel dans les zones de transport maritime (port, embouchure des rivières…), ils fournissent des séries temporelles très importantes. Cependant, la plupart du temps, la mise en place de ces marégraphes répondait à un besoin spécifique et la qualité de la mesure est très variable, d’autant plus que certaines mesures ont plus de deux siècles maintenant. Cependant un énorme travail de collecte de ces données a été entrepris par le Bureau Hydrographique International pour mettre à la disposition des usagers une base de données marégraphiques la plus complète possible [International Hydrographic Office, 1979]. Cette base contient environ 4000 marégraphes le plus souvent situé en zones côtières sur tous les océans du globe (cf. Figure 15).


Figure 15 : Base de données marégraphiques BHI

7.3.5 Commentaires

Les trois bases introduites précédemment sont très différentes les unes des autres. Les données sont donc à utiliser avec beaucoup de précaution. Les données WOCE sont bonnes et cohérentes car issues d’un même programme international : les signaux de marée ont été analysés de la même façon. La base de IAPSO a été construite relativement récemment et, après quelques vérifications (correction de la marée radiale S2…), peut être utilisée sans problème. Par contre, la base BHI a des origines très variées. Un gros effort d’analyse et de comparaison est donc nécessaire avant d’utiliser ses données.

En outre, comme le montre les Figure 13, Figure 14 et Figure 15, la répartition géographique des marégraphes est très inégale. Les zones de l’hémisphère nord, riches en côtes et ayant été l’objet de programmes plus anciens de mesures des océans, sont nettement mieux pourvues en quantité de mesures que celles de l’hémisphère sud. En particulier, il y a peu de mesures marégraphiques dans l’Océan Indien et dans le sud de l’Océan Pacifique. Nous devons tenir compte de ces différences de densités spatiales dans l’utilisation des ces données marégraphiques.

7.4 Base pélagique de référence : ST95

Avec la parution des nouveaux modèles globaux de marée, une base de données marégraphiques extraites de la base WOCE a été construite pour des besoins de comparaison [Shum et al., 1997]. Les 195 données WOCE ont été soigneusement analysées et 95 ont été sélectionnées pour former la base ST95 [Cartwright and Ray, 1991; Le Provost, 1994]. Afin de donner une idée de l’importance en amplitude des différentes ondes du spectre de marée, nous avons tracé Figure 16 la décomposition harmonique de ce spectre pour l’ensemble de ces 95 marégraphes.

Pour quantifier les composantes de marées nous introduisons une Root Mean Square (RMS) égale à :

(7.64)

avec :

Les ondes sont classées par ordre d’importance. L’échelle des ordonnées (amplitude en centimètres) est logarithmique.
 
 


Figure 16 : Décomposition harmonique du spectre de marée pour la base de données ST95

Cette base est représentative des phénomènes de marées qui ont lieu en plein océan. La répartition spatiale de cette base est donnée Figure 17.


Figure 17 : Répartition spatiale de la base de données ST95

7.5 Base côtière de référence : ST727

7.5.1 Les besoins

L’évaluation de la qualité d’un modèle global de marée dans les zones de petits fonds est un travail ardu, à cause de la complexité des caractéristiques de la marée le long des côtes et sur les plateaux où les longueurs d’ondes sont plus courtes. Les amplifications régionales sont difficilement prises en compte par ce type de modèle. En effet, les non-linéarités qui y prennent place conduisent à un spectre de marée beaucoup plus complexe qu’en plein océan. La base ST95 n’est représentative que de l’océan profond. Le but de notre travail étant, en particulier, l’amélioration des modèles globaux en zones côtières nous nous devions de construire une base de données représentative de la marée en petits fonds afin de pouvoir comparer nos sorties de modèles. Par extension, cette base peut devenir un outil de référence pour comparer la qualité des modèles en zones côtières et sur les plateaux.

Ainsi, une autre base de données composée de 727 marégraphes tous situés en zone côtière (ST727, [Lefèvre et al., 1999b]) a été construite pour rendre compte des phénomènes de la marée en petits fonds. Les données ont toutes été extraites de la base BHI.

7.5.2 Sélection des côtes

Afin de faciliter la sélection des marégraphes inclus dans la base BHI, nous avons les avons référencés par rapport à leur position le long des côtes de six zones océaniques : Afin d’éviter des côtes trop longues (pas plus de 10000 km), ces océans ont été divisés en 26 segments, permettant une meilleure visualisation de la distribution et des propriétés régionales des caractéristiques de la marée. De plus, ces segments ont été sectionnés de telle manière que les caractéristiques des marées le long des côtes soient homogènes. La distribution de ces 26 segments est donnée Figure 18. Les côtes ont été digitalisées avec des portions droites élémentaires de 5 à 20 km de long, ce qui permet de localiser chacun des marégraphes suivant une abscisse curviligne.


Figure 18 : Sélection des côtes de l’océan mondial

7.5.3 Construction de la base

Les 727 marégraphes de ST727 ont été soigneusement sélectionnés parmi la base BHI grâce à plusieurs critères présentés que nous présentons dans la suite.

7.5.3.1 Cohérence spatiale

Plusieurs critères de sélection spatiale ont été appliqués sur la position des marégraphes. En premier lieu, toutes les stations situées à plus de 10 km des côtes digitalisées ont été écartées. En second lieu, elles ont été éliminées si elles se trouvaient : Cette sélection a permis d’exclure tous les marégraphes qui mesurent des effets locaux de marée tels les résonances, les longues étales, les effets non-linéaires extrêmes. L’appellation des stations a en général été d’une aide précieuse pour mieux les localiser.

En dernier lieu, si plusieurs marégraphes étaient co-localisés, seul le marégraphe avec la longueur d’enregistrement la plus longue était sélectionné. En effet, plus la longueur d’enregistrement est longue, moins les données analysées sont sujettes à des problèmes de séparabilité des ondes.

7.5.3.2 Comparaison aux modèles globaux CSR3.0 et FES94.1

Comme nous l’avons vu, les données de la base BHI sont d’origines très diverses. Les premières mesures datent du début du 18ème siècle. Les décompositions harmoniques des signaux ont été calculées par de nombreux algorithmes différents et par de nombreuses personnes différentes. Il est donc difficile de trouver une homogénéité dans la qualité des données de cette base. C’est pourquoi, afin de déterminer une certaine cohérence de qualité dans les données, nous avons choisi de nous référer à deux modèles globaux de marée océanique : CSR3.0 [Eanes and Bettadpur, 1996] basé sur les travaux de Casotto [1989] et FES94.1 [Le Provost et al., 1994]. La communauté scientifique considérait à l’époque de la construction de ST727 que CSR3.0 était le meilleur modèle altimétrique global de marée et FES94.1 le meilleur modèle hydrodynamique global. Ces deux modèles sont issus de deux approches complètement différentes. Même si CSR3.0 utilise FES94.1 comme solution a priori, ils peuvent tous les deux être considérés comme étant complémentaires pour donner une bonne idée des marées modélisées le long des côtes.

Cependant, ce critère de sélection peut paraître controversé. Est-ce que l’analyse d’une station marégraphique en désaccord avec ces modèles prouve que la décomposition harmonique qui lui est associée est fausse ? Ou bien, au contraire, cette comparaison prouve-t-elle que les modèles ne sont pas bons dans la zone localisée autour du marégraphe considéré ? La réponse nécessite de plus amples investigations. C’est pourquoi, dans notre cas, nous avons seulement décidé d’écarter les données marégraphiques qui présentaient un écart d’au moins de 20% de différence en amplitude et de 10° en phase avec les deux modèles, exceptés pour des zones de forte dissipation comme le plateau de Patagonie et les Mers de Chines où les modèles globaux sont connus pour imprécis. C’est pourquoi, nous nous sommes appuyés sur des modèles locaux pour la Patagonie [Glorioso and Flather, 1997] et pour les Mers de Chines [Lefèvre et al., 1999c] afin de sélectionner les marégraphes.

7.5.3.3 Sélection des données

En appliquant les différents critères énoncés ci-dessus, la base ST727 a été extraite des 3985 données de la base BHI dont nous disposions. La Figure 19 montre la répartition spatiale de cette base. La distribution est assez bonne pour considérer que les principales côtes de l’océan mondial ont bien été prises en compte. Cependant, des îles et des zones comprenant peu de stations ne sont pas incluses dans notre sélection, le but premier ayant été de considérer surtout les côtes continentales.


Figure 19 : Répartition spatiale de la base de données ST727

7.5.4 Caractéristiques de la base ST727

7.5.4.1 Décomposition harmonique

La Figure 20 présente une estimation moyenne de l’amplitude des composantes de ST727. C’est une vue globale des caractéristiques des marées le long des côtes de l’océan mondial. Comme en plein océan, M2 et S2 restent les ondes semi-diurnes les plus importantes. K1 et O1 sont les ondes diurnes les plus importantes. Ces constatations dépendent de notre sélection, mais sont, malgré tout, instructives en terme de composantes harmoniques.


Figure 20 : Décomposition harmonique du spectre de marée pour la base de données ST727

7.5.4.2 Marées semi-diurnes et diurnes le long des côtes

D’importantes différences en amplitudes existent si nous comparons les 6 zones océaniques introduites en 7.5.2. En effet les caractéristiques topographiques et géométriques des bassins océaniques entraînent de nombreuses disparités dans l’ampleur des marées sur la surface océanique mondiale. Nous pouvons les quantifier grâce à ST727.

Ainsi, les ondes semi-diurnes sont plus importantes le long des côtes de l’Océan Atlantique, de l’Océan Pacifique et de l’Océan Indien (cf. Figure 21).


Figure 21 : Amplitude M2 pour les 26 côtes sélectionnées et leurs marégraphes associés

La Figure 22 illustre, au contraire, que les ondes diurnes sont plus importantes dans l’Océan Pacifique.


Figure 22 : Amplitude K1 pour les 26 côtes sélectionnées et leurs marégraphes associés

7.5.5 Remarques sur ST727

7.5.5.1 Disparité spatiale

Le fait d’avoir construit ST727 en extrayant des données de la base BHI entraîne une disparité spatiale dans notre sélection. Même si la base BHI contient un nombre très important de données marégraphiques, elle reste inhomogène dans l’espace. En effet, s’il y a beaucoup de données le long des côtes de l’Atlantique et du Pacifique Nord, ailleurs, nous pouvons constater un manque crucial de données. Cette remarque est illustrée par la Figure 23 qui présente le nombre de stations de la base BHI par 1000 km de côtes classées suivant les 26 zones introduites en 7.5.2. Les zones polaires, l’Océan Indien et le Sud du Pacifique ont très peu de données. La base BHI est dissymétrique entre les deux hémisphères.


Figure 23 : Nombre de marégraphes BHI par 1000 km de côtes

7.5.5.2 Disparité dans l’analyse

La Figure 24 présente le nombre de composantes disponibles pour les stations de ST727. Les ondes ont été classées suivant l’importance de leur amplitude moyenne.


Figure 24 : Nombre de composantes fournies par l’analyse des marégraphes de ST727

Les ondes ter-diurnes et quart-diurnes sont nettement moins bien représentées que les ondes diurnes et semi-diurnes bien qu’elles apparaissent comme étant importantes en terme d’amplitude dans le spectre de marée (cf. Figure 20). Ces ondes ne prennent des amplitudes notables que dans les petits fonds et devraient donc apparaître dans les analyses des séries temporelles des marégraphes de ST727. Ainsi pour compléter ce manque, des analyses plus fines sont nécessaires. La qualité de ST727 est sûrement moins bonne pour les ondes de fréquence plus élevées que pour celles des diurnes et semi-diurnes. En effet la fréquence élevée de ces ondes provoque des variations rapides de niveau de la mer qui sont plus difficilement mesurables.

7.6 Commentaires

7.6.1 Différences entre plein océan et petits fonds

Des deux décompositions harmoniques de ST95 et ST727, nous pouvons faire plusieurs remarques : Il faut donc tenir compte des ondes non-linéaires dans le spectre de marée quand nous étudions les petits fonds, ce qui n’a pas encore été fait dans le cadre des modèles globaux.

7.6.2 Qualité des bases de comparaisons

Les deux bases de comparaisons marégraphiques (ST95 et ST727) que nous avons introduit précédemment, sont toutes les deux issues d’une méticuleuse sélection parmi les bases globales de données disponibles. Les origines de chacun des marégraphes des bases globales sont variées et empêchent de systématiser la sélection de telle ou telle de leurs données. Le travail à entreprendre pour une sélection est donc complexe et n’est résoluble qu’au cas par cas. ST95 a déjà fait ses preuves puisqu’elle est utilisée depuis quelques années comme support de comparaison pour les modèles globaux de marée par rapport à la marégraphie. ST727, dont l’origine est la base BHI, doit en revanche continuée à être validée et donc être utilisée avec plus de précautions.

7.7 Exemple d’un réseau d’observations : ROSAME

7.7.1 Les nouveaux réseaux marégraphiques

Accéder à des données marégraphiques par des bases de données est relativement aisé. Cependant, il est difficile de connaître l’origine exacte de ces données et donc de pouvoir estimer leur qualité. En outre, l’acquisition des séries temporelles de ces données est ancienne. Leur acquisition était longue ce qui entraînait après analyse une mise à disposition tardive. C’est pourquoi depuis plusieurs années, quelques services d’observation mettent en commun une nouvelle génération d’appareils mesurant le niveau de la mer et de nouveaux algorithmes d’analyses des séries temporelles afin de pallier les problèmes de qualité et de délais. L’obtention de données marégraphiques répondant au cahier des charges imposé par ces services est une tâche ardue. Le réseau d’observations marégraphiques ROSAME (Réseau d'Observation Sub-antarctique et Antarctique du niveau de la MEr) maintenu par le LEGOS à Toulouse est un des réseaux participant à cette aventure scientifique et technologique. Le site Internet http://www.omp.obs-mip.fr/omp/legos/francais/obs/rosame/index.htm donne de plus amples informations sur ROSAME.

7.7.2 Thématique scientifique

Le niveau de la mer est un indicateur majeur de la variabilité dynamique et thermodynamique de l’océan aux différentes échelles de temps. Aux échelles saisonnières à interannuelles, les fluctuations climatiques sont gouvernées, pour une très large part, par les échanges entre l’océan tropical et l’atmosphère. Comme le niveau moyen de la mer intègre le champ de densité vertical, il peut ainsi être considéré (combiné à une information sur la salinité) comme une mesure du contenu thermique de l’océan et, plus particulièrement dans les régions tropicales, comme un index de la profondeur de la thermocline. Son observation permet donc de déterminer et de suivre l’évolution de l’état climatologique de l’océan, et d’identifier les caractéristiques de la propagation d'événements baroclines de basse fréquence, dont El Niño est l’illustration la plus spectaculaire.

Aux échelles saisonnières, interannuelles à décennales, l’état thermodynamique de l’océan est lié à la circulation océanique globale, dans ses trois dimensions, et les gradients horizontaux du niveau moyen de la mer donnent en surface la composante géostrophique de cette circulation. L'observation de la topographie de l'océan et de ses variabilités constitue donc une approche dont l'intérêt est désormais bien établi. Sur les bords ouest des océans, où les courants géostrophiques sont les plus intenses (Gulf Stream, Kuro Shivo, Courant du Brésil, Courant des Aiguilles,...), les écarts entre les niveaux instantanés et le géoïde sont de l’ordre du mètre sur des distances de l’ordre de 100 km, et leurs fluctuations, en particulier celles saisonnières, sont clairement identifiables sur les enregistrements marégraphiques et altimétriques. Il en est de même pour les tourbillons de mésoéchelle, dont les signatures sont typiquement de la dizaine de centimètres sur quelques centaines de kilomètres. A l'échelle globale, la faisabilité de l'observation de la topographie de l'océan n'était pas évidente : les pentes à mesurer sont très faibles, de l’ordre de 10-6. Mais les analyses des données altimétriques des missions TOPEX/Poseïdon et ERS1/2. ont apporté la preuve de cette faisabilité, et les résultats démontrent tout l'intérêt de cette observation de la topographie de l'océan, pour identifier et aider à comprendre les mécanismes en jeu dans la dynamique et la thermodynamique de l'océan, aux échelles saisonnières et interannuelles.

Aux échelles séculaires, enfin, la variation du niveau moyen des océans est reliée aux grandes oscillations climatiques que l’injection accélérée de gaz dans l’atmosphère est en train de perturber, par effet de serre. L’élévation actuelle du niveau de la mer, globalement estimée de l’ordre de 15 cm à 20 cm sur ce dernier siècle, risque de s’accélérer. L’étude de l’évolution à long terme du niveau de la mer vise donc à détecter une signature de cette perturbation.

Ce paramètre est relativement "facile" à observer in situ. D'où la mise en place à la fin des années 1980, d'un réseau coordonné d'observation des variations du niveau de la mer, à l'instigation de la Commission Intergouvernementale d'Océanographie de l'UNESCO: le réseau GLOSS (Global Sea Level Observing System). D'où aussi le développement de l'altimétrie satellitaire. C'est dans ce contexte que le réseau ROSAME a été implanté, comme sous-ensemble de ce réseau mondial, et dans la perspective des programmes altimétriques satellitaires franco-américain T/P, et européen ERS1/2.

Le réseau ROSAME répond à quatre objectifs scientifiques principaux :

Mis en place dans le cadre de WOCE, ce réseau répond maintenant aux objectifs de CLIVAR visant l'étude des variabilités interannuelles à décennales de l'océan. Le dernier objectif relevant par ailleurs de l'évolution séculaire du niveau de la mer, soulignons que ce réseau est appelé à être maintenu sur un très long terme.

7.7.3 Antériorité de ce Service

Ce programme a débuté en 1986, sur l’initiative du Laboratoire d'Océanographique du Muséum d'Histoire Naturelle de Paris, puis le programme a été repris par C. Le Provost, dans le cadre de WOCE (GLOSS), avec le soutien logistique et financier de l'IFRTP, et des crédits d'investissement de l'IFREMER, du Ministère de la Recherche et du CNRS/INSU. L'objectif central du programme a alors été d'installer 4 stations côtières d'observation du niveau de la mer, à Crozet, Kerguelen, Amsterdam-StPaul et Dumont d'Urville, équipées aux normes WOCE (i.e. avec télétransmission par satellite). Il constitue ce qui s'appelle désormais le réseau ROSAME.


Figure 25 : Localisation des stations du réseau ROSAME sur carte bathymétrique des fonds océaniques (en mètres)

Les quatre stations côtières installées sont :

Les observations sont collectées via le système ARGOS, réceptionnées et validées à Toulouse sur une base hebdomadaire et transmises dans un délai de 15 jours au "Fast Delivery Center" de Hawaii.

Afin de permettre de relier les observations faites à la côte par ces stations aux variations du niveau de la mer au large (considérées comme index de la variabilité des signaux océaniques), le programme d'observation par marégraphes immergés sur les rebord des plateaux a été poursuivi à Kerguelen jusqu’en 1996, et est maintenu à Amsterdam et Crozet. Ce sont les opérations NIVMER réalisées chaque année conjointement aux visites de maintenance des stations du Réseau Subantarctique, avec le soutien logistique de l’INSU/DT et de l’IFRTP à bord du navire Marion Dufresne II [MEOM, 1994].


Figure 26 : Diagramme matérialisant les périodes sur lesquelles les variations du niveau de la mer ont été acquises (AMS, CRO et KER : stations de plateau ; CRO-ARGOS, DDU-ARGOS, KER-ARGOS et SPA-ARGOS :stations côtières ; mise à jour mai 2000)

7.7.4 Exploitation scientifique de ces données

7.7.4.1 Etude des marées océaniques

L’étude intensive des marées océaniques est, dans le contexte des études climatiques, motivée par l’intérêt porté à l’utilisation de l’altimétrie satellitaire comme outil d’observation synoptique des circulations océaniques. Une meilleure connaissance de la contribution de la marée au signal altimétrique est nécessaire, pour pouvoir l’éliminer, et avoir accès au signal océanique associé aux circulations générales et à leur variabilité. Rappelons que, du fait de l’aliasing des composantes de haute fréquence du signal sur les basses fréquences (dû aux périodes de répétitivité des satellites altimétriques, de l’ordre de 10 à 30 jours), le signal des marées, principalement semi-diurne et diurne, contamine le signal océanique de mésoéchelle et de basses fréquences.

L'ensemble des données acquises dans le cadre de la composante Sea Level de WOCE a permis de valider les modèles de marées produits ces dernières années [Shum et al., 1997]. Rappelons que notre modèle de prédiction des marées [Le Provost et al., 1998] a été retenu comme l’un des deux modèles recommandés pour les corrections des mesures altimétriques satellitaires de T/P dans les zones océaniques. Une analyse récente de toutes les données disponibles dans la banque de Hawaii a été par ailleurs réalisée pour définir les barres d’erreur sur les composantes harmoniques de marée nécessaires pour leur utilisation dans les procédures d’assimilation [Ponchaut et al., 1999].

7.7.4.2 Validation des observations satellitaires

L’altimétrie satellitaire est une technique d’observation de l’océan particulièrement développée suite aux missions ERS1/2 et T/P. D’où l’importance des futures missions JASON et ENVISAT pour les programmes à venir de nature scientifique comme CLIVAR (CLImate VARibility) où opérationnelle comme GODAE (Global Ocean Data Assimilation Experiment). En accompagnement de ces mesures altimétriques, la mesure in situ du niveau des océans est indispensable : Les opérations menées dans le cadre de ROSAME correspondent ainsi à une contribution significative dans ce contexte, en particulier en raison de leur situation, au sud de l'Océan Indien. Ces données ont été comparées aux mesures altimétriques de l’altimètre T/P dans le voisinage des sites d’observation [Cazenave et al., 1999; Yoon, 1997]. La concordance des mesures est particulièrement bonne pour le site d'Amsterdam pour le cycle saisonnier. Elle est aussi très satisfaisante sur le site de Crozet. Par contre, les comparaisons sur le site de Kerguelen sont plus complexes, en raison de l'extension du plateau continental sur cette zone. Malgré cette complexité, ce site a été retenu comme site de référence (pour la zone Océan Indien Sud) dans le cadre d'un réseau de 30 marégraphes (GLOSS-Alt) inscrit au plan d'implémentation de GLOSS pour la calibration sur le long terme des missions altimétriques satellitaires. La Figure 27 montre la position de la centrale marégraphique de Kerguelen dans le Golfe du Morbihan et les traces T/P du satellite. Nous pouvons voir ainsi tout l’intérêt du marégraphe qui, couplé à une balise de positionnement DORIS, permet de référencer l’altitude du satellite par rapport au niveau de la mer, de façon très précise. En effet, le marégraphe donne un état du niveau de la mer très fin, de l’ordre du centimètre.


Figure 27 : Traces T/P sur Kerguelen et marégraphe de ROSAME

7.7.4.3 Monitoring du courant circumpolaire antarctique

Cette composante du programme scientifique associé à ROSAME, et plus largement aux stations du réseau mondial situées dans l'Océan Austral, vise à étudier la faisabilité d’un “monitoring” du courant circumpolaire Antarctique, du passage du Drake à l’entrée du Pacifique, reposant en particulier sur les mesures in situ des variations du niveau de la mer. La Figure 28 présente en projection polaire ce réseau. Nous retrouvons les stations françaises dans l’océan Indien et sur l’Antarctique au sud de la Tasmanie (points rouges). Les six stations près du passage de Drake sont anglaises (points verts). La station sur le continent Antarctique est japonaise (point bleu). Les cinq autres stations sont australiennes (points jaunes).


Figure 28 : Réseau Antarctique de marégraphes de surveillance du Courant Circumpolaire Antarctique (France en rouge, Angleterre en vert, Japon en bleu, Australie en jaune)

La contribution anglaise ACCLAIM (Antarctic Circumpolar Current Levels for Altimetry and Island Measurements) concerne les secteurs Drake, et Atlantique Sud Est. La contribution française se situe sur le secteur Crozet-Kerguelen, d'une part, et sur la section Australie-Antarctique, en coopération avec les Australiens.

L'observation continue des niveaux entre Kerguelen et Amsterdam est menée depuis plusieurs années. Les signatures de la variabilité des transports dans le Courant Circumpolaire Antarctique (CCA) sont de l'ordre de 10 cm. L'analyse spectrale de ces signaux révèle une grande variété de pics d'énergie distribués sur tout le spectre, allant de quelques jours à de l'interannuel. Saint Guily et Lamy [1988] avaient interprété les oscillations allant de la bande inertielle à 4 jours en terme d'ondes de Rossby topographiques piégées sur le plateau des Kerguelen. L'observation de la pression atmosphérique aux stations côtières nous a permis [Yoon, 1997] d'interpréter en terme d'effet de baromètre inverse les pics d'énergie dans tous les signaux analysés dans la bande de 10 à 60 jours. Lorsque les séries sont filtrées à 60 jours, les signaux résiduels sont dominés par des oscillations dont les périodes se situent entre 120 et 180 jours. Park et Saint Guily [1992] ont interprété les oscillations identifiées dans les données de Géosat dans la bande 2 à 4 mois en terme d'ondes de Rossby semi-annuelles advectées par le CCA. Cette interprétation a été confortée par Hugues [1995] sur la base des résultats de la simulation du CCA dans le cadre de FRAM. Cette contribution des ondes de Rossby doit être mieux comprise afin de l'éliminer des observations et accéder à la variabilité saisonnière à interannuelle du transport dans le CCA.

7.7.4.4 Observation des variations séculaires du niveau de la mer

A l’échelle globale planétaire, l’élévation moyenne du niveau de la mer est actuellement de l’ordre 1 ou 2 mm/an, estimation basée sur l’analyse des observations marégraphiques archivées depuis plus d’un siècle. En relation avec le réchauffement attendu de notre planète par effet de serre, un scénario raisonnable conduit à prédire une élévation moyenne du niveau des océans de l’ordre de 50 cm au cours du prochain siècle [Warrick et al., 1996]. Si l’on se fixe comme objectif de détecter cette tendance sur les 10 années qui viennent avec une incertitude de 10%, le problème posé est donc de détecter une élévation globale de 5 cm avec une déviation standard de 5 mm sur ces 10 ans. Si l’on retient comme variabilité typique interannuelle du niveau de la mer un signal de l’ordre de 50 mm avec une pseudo périodicité de 5 ans, les contraintes posées ci-dessus conduisent donc à conclure qu’il faut disposer d’enregistrements de haute qualité en 50 stations indépendantes, à l’échelle planétaire. D’où le programme GLOSS, dont l’objectif est la constitution et la maintenance d’un réseau de stations de mesure du niveau de la mer décorrélées, et réalisant des mesures continues contrôlées avec précision. Les quatre stations françaises de ROSAME font partie de ce réseau. Comme les déformations géodynamiques des socles sur lesquels les appareils sont installés introduisent dans le signal observé une composante étrangère au problème, il est nécessaire de connaître les mouvements verticaux de ces socles, et donc de les mesurer avec une précision compatible avec celle évoquée ci-dessus. Une étude a été réalisée à l’IGN pour évaluer les possibilités offertes par le système GPS pour localiser ces stations marégraphiques dans le repère ITRF, par rapport au centre de la terre, afin de suivre le déplacement vertical de ces stations sur le long terme. Au cours de la campagne NIVMER94, des repères géodésiques ont été posés autour des trois stations de Crozet, Kerguelen et Saint-Paul, ainsi que des piliers GPS à Crozet et Kerguelen, rattachés chacun par nivellement aux repères géodésiques. Deux campagnes GPS ont été réalisées à Kerguelen en 1994 et 1995, ainsi qu’un rattachement des mesures du niveau de la mer de KER-ARGOS au système de repère géodésiques qui entourent la station [Wöppelman, 1997]. Nous avons étudié plus récemment au LEGOS l’évolution comparée du niveau de la mer enregistré par marégraphes, de celui observé par le satellite T/P, et du mouvement vertical du socle terrestre des sites, via le système DORIS. L’impact de la variation verticale de la croûte terrestre sur l’évolution locale du niveau de la mer a été démontré en de nombreux points du réseau GLOSS-Alt [Cazenave et al., 1999].

7.7.5 Moyens de mesures mis en œuvre

7.7.5.1 Le réseau

Les quatre stations marégraphiques côtières sont chacune équipées de deux modules : un module côtier, et un module immergé sur le rebord du plateau continental proche. Le maintien technique et logistique de ce réseau est fait depuis la France par le LEGOS et la Division Technique de l’INSU à Brest, complété d’une mission océanographique sur le terrain tous les ans. Pour de plus amples informations techniques nous laissons le lecteur se reporter aux derniers rapports de mission [Lefèvre, 1999; Lefèvre, 2000].

7.7.5.2 Stations marégraphiques côtières

Le module côtier est composé d’un capteur de pression et de température immergé dans un puits de tranquilisation, d’un câble de liaison et d’alimentation en énergie, et d’une centrale à terre. La centrale est composée d’un module de communication avec le capteur immergé, d’un capteur de pression atmosphérique, et d’un module de gestion et archivage des mesures, avec transmission par ARGOS. Les stations de Kerguelen et St Paul ont été conçues et produites par la société CLS-ARGOS. Les stations plus récentes de Crozet et Dumont d'Urville ont été adaptées des précédentes et produites par la société MORS.
 
 


Figure 29 : Capteur de pression hors de son puits marégraphique (Kerguelen, photo de l’auteur, campagne OISO3-Nivmer98)


Figure 30 : Centrale CLS-ARGOS d’acquisition et de transmission des données marégraphiques (Kerguelen, photo de l’auteur, campagne OISO3-Nivmer98)


Figure 31 : Antenne Argos et puits marégraphique en contrebas (Crozet, photo de l’auteur, campagne OISO3-Nivmer98)

Ce module offre l'avantage d'une acquisition transmise en temps réel, par satellite. Il est de plus rattaché géodésiquement par un ensemble de repaires fixes et reliés à l'aide des techniques GPS et DORIS au centre de masse de la terre, dans le système ITRF. Il comporte enfin un capteur de pression atmosphérique local qui permet de corriger les mesures de pression de fond en soustrayant la pression atmosphérique. Pour accéder à la hauteur de la colonne en place au-dessus du capteur, un calcul simple faisant intervenir les différents paramètres mesurés est effectuer. La Figure 32 présente le principe d’acquisition des mesures et leur transmission. Le seul inconvénient de ces stations est que, située à la côte, la mesure que le capteur fait est contaminée par des effets locaux qui peuvent être gênants.


Figure 32 : Principe des mesures des stations du réseau ROSAME

Actuellement, ces stations ne sont pas équipées de capteur de salinité. C'est certainement la première amélioration à introduire afin d'augmenter la précision de la conversion de la pression en niveau de la mer. Le site de Kerguelen, nous l'avons mentionné plus haut, est un des sites de référence pour le monitoring à long terme de la calibration des altimètres satellitaires. La continuité des enregistrements doit donc être assurée sans faille: une deuxième station d'observation devra donc être installée sur ce site, dès que possible afin de parer à tout incident sur la station existante. Par ailleurs, l'établissement des bases de référence géodésique de ces stations n'est pas achevé. En outre, les géophysiciens et géodésiens recommandent aussi d’effectuer des mesures absolues de ka pesanteur en collocation avec les marégraphes (Francis, communication personnelle, 2000).

7.7.5.3 Stations marégraphiques pélagiques

Dans la mesure du possible, chaque module côtier est couplé à un module immergé sur le plateau. Ce module est une station autonome supportant un capteur de pression et température. Son autonomie nominale est de 4 ans, mais pour des raisons de sécurité ces stations sont relevées avec un rythme annuel. Les missions océanographiques NIVMER permettent un relevage régulier des mouillages qui sont remplacées dans la foulée par un autre mouillage.


Figure 33 : Marégraphe pélagique de Amsterdam sur sa cage avec largueurs et lest sans flottabilité avant mise a l’eau (photo de Nicolas Metzl, campagne OISO4-Nivmer99)


Figure 34 : Récupération du mouillage pélagique de Amsterdam (photo de Nicolas Metzl, campagne OISO4-Nivmer99)

Il présente l'avantage d'être déployé sur le rebord du plateau continental, affranchi (non totalement) des effets côtiers. Mais il présente deux inconvénients. La référence de niveau est perdue à chaque relevage de la station, et la pression atmosphérique locale, nécessaire pour convertir la mesure de pression en niveau de la surface libre de la mer, doit être déduite de celle mesurée à terre, avec une combinaison éventuelle d'informations venant des analyses des modèles de prévision météorologiques.

7.7.6 Mesures des stations marégraphiques de ROSAME

7.7.6.1 Traitement des données

Dans ce paragraphe nous allons nous intéresser plus particulièrement aux 4 marégraphes côtiers de ROSAME afin de donner un aperçu physique des mesures de terrain. Comme nous l’avons vu dans le paragraphe 7.7.5, les données mesurées sont directement envoyées au LEGOS (UMR5566) à Toulouse par liaison Argos pour être traitées. Des données horaires sont transmises : pression atmosphérique Patm au sommet du puits marégraphique, pression hydrostatique Pfondau fond du puits marégraphique et température de l’eau . P. Téchiné du LEGOS traite ces données en temps quasi réel au moyen d’algorithmes spécifiques. Les données en élévation (colonne d’eau) sont obtenues en calculant la différence entre la pression de fond et la pression atmosphérique, corrigée par la densité de l’eau de mer. Cette densité est fonction de la température de l’eau (qui est mesurée) et de la densité de l’eau (qui est prise constante à 35 g.l1). Une relation polynomiale permet d’obtenir  :

(7.65)

avec :

(7.66)

Nous déduisons la hauteur d’eau H par la relation :

(7.67)

A titre d’illustration nous donnons Figure 35 les mesures horaires effectuées durant le mois de mai 2000 par le marégraphe côtier de Kerguelen. Le tracé de la hauteur de la colonne d’eau pour le mois de mai est donnée à la troisième rangée de la figure. Nous pouvons noter dans le signal de hauteur d’eau que nous retrouvons bien deux marées basses et deux marées par jour (environ) ce qui souligne bien l’existence prépondérante de l’onde M2 dans le spectre de marée. Ainsi les marées sur les côtes de l’archipel des Kerguelen sont de type semi-diurnes comme sur les côtes bretonnes françaises. En outre le battement bimensuel entre l’onde M2 et l’onde S2 est bien visible (c’est en fait l’enveloppe du signal de marée). Nous pouvons aussi remarquer que tous les jours les deux marées hautes ne sont pas tout à fait identiques du fait de la déclinaison luni-solaire, ce que nous retrouvons dans l’onde K1.

Figure 35 : Mesures du marégraphe KER-Argos durant le mois de mai 2000

7.7.6.2 Spectre de marée à Kerguelen

Des variations mesurées puis corrigées de ce signal, nous en faisons l’analyse harmonique afin d’obtenir les composantes du spectre de marée. Dans notre cas, nous cherchons un spectre d’une cinquantaine d’ondes. Le choix de ces ondes est fait en fonction d’un critère d’importance dans le spectre. En effet, chacune représente plus de 1 cm d’élévation maximale, ce qui nous permet d’avoir des ondes hors du bruit instrumental. Le spectre obtenu (cf. Figure 36) montre bien la séparation des ondes en groupe, plus particulièrement le groupe des semi-diurnes, des diurnes et des longues périodes.


Figure 36 : Spectre de marée calculé à Kerguelen (amplitude en cm)

Il faut noter que les ondes non-linéaires tiers-diurnes, quart-diurnes, sixième-diurnes… ne sont pas à négliger. Leur importance dans le spectre est nette : la complexité de la géométrie des petits fonds génère des non-linéarités. Des zooms plus précis [Ponchaut et al., 1999] sur les trois principaux groupes permettent d’affiner les ondes présentes dans le spectre global.


Figure 37 : Zoom du spectre de marée à Kerguelen pour les ondes semi-diurnes


Figure 38 : Zoom du spectre de marée à Kerguelen pour les ondes diurnes


Figure 39 : Zoom du spectre de marée à Kerguelen pour les ondes longues périodes

7.7.6.3 Reconstruction du signal de marée : la prédiction

Afin de montrer la robustesse de l’analyse harmonique, nous avons tracé (Figure 40) pour le mois de mai 2000 la marée déduite de l’analyse harmonique des mesures de novembre 1994 à avril 2000 (courbe noire) et la marée déduite des mesures grâce à un filtre de Demerliac (courbe rouge). Les deux signaux sont très semblables. Le filtre de Demerliac est un filtre numérique passe-bas qui élimine les composantes cycliques de courte période du signal marégraphique, en particulier les composantes diurnes et semi-diurnes de la marée afin d’obtenir des moyennes filtrées journalières [Wöppelman, 1997]. En soustrayant le signal d’élévation mesurée du niveau de la mer et le signal filtré, on obtient la courbe de marée (courbe rouge). La mesure sur une longue durée permet donc d’obtenir le spectre de marée qui donne accès à une prédiction ultérieure précise (courbe noire).

Figure 40 : Comparaison de la prédiction et la mesure avec le marégraphe KER-Argos

7.7.6.4 Spectre de marée pour les marégraphes côtiers de ROSAME

Les différents travaux présentés ci-dessus permettent donc d’obtenir les valeurs en amplitude et en phase des composantes du spectre de marée pour les marégraphes côtiers de ROSAME. Etant donnée la singularité des données apportées par ces marégraphes du fait des terres hostiles et lointaines où ils sont implantés, il nous a paru intéressant d’indiquer les dix plus importantes de ces composantes (cf. tableaux ci-dessous).
Onde
Amplitude (cm) 
Phase (degrés)
M2
13,1555
161,20
K1
4,0965
154,42
S2
3,9492
195,38
Mf
3,7369
201,83
N2
3,0768
142,18
Mm
2,9440
223,32
Mtm
2,8925
206,58
O1
2,4237
301,64
Mqm
1,8588
244,45
K2
1,2695
188,39
Tableau 9 : Composantes de la marée à l’île de Crozet


Onde
Amplitude (cm) 
Phase (degrés)
M2
50,8216
190,45
S2
21,3388
230,86
N2
11,1385
172,42
K1
7,5242
152,20
K2
5,9062
227,90
P1
2,3189
149,78
n
2,1312
174,81
O1
1,7474
114,77
m2
1,5467
155,14
Ssa
1,4781
206,41
Tableau 10 : Composantes de la marée à Kerguelen


Onde
Amplitude (cm) 
Phase (degrés)
M2
39,5538
230,65
S2
21,2250
274,33
N2
7,2217
213,98
K1
6,8536
153,15
K2
5,9235
272,29
O1
3,2232
175,52
Sa
2,3580
336,42
P1
2,0951
150,90
n2
1,3843
213,80
L2
1,3489
245,80
Tableau 11 : Composantes de la marée à l’île de St Paul


Onde
Amplitude (cm) 
Phase (degrés)
O1
31,4270
207,71
K1
29,3746
226,66
M2
27,3683
61,52
S2
15,1844
99,93
P1
8,8126
215,11
N2
7,3380
40,65
Q1
7,0867
203,30
K2
4,6430
105,33
Mf
3,9188
264,37
Msm
2,5240
201,27
Tableau 12 : Composantes de la marée à Dumont d’Urville

Les données de Crozet dont sont déduites les composantes de marée s’étalent de décembre 1994 à avril 2000 avec d’importantes discontinuit�s dues à des tempêtes, des problèmes techniques, le rude climat de l’île…. Celles du marégraphe de Kerguelen s’échelonnent de novembre 1993 à avril 2000 sans discontinuité autre que celles occasionnelles de maintenance. Celles du marégraphe de St Paul vont d’octobre 1994 à avril 2000 avec un trou de 6 mois en 1999 dû à un problème d’alimentation. Celles du marégraphe de Dumont d’Urville s'étendent de février 1999 à janvier 2000 sans discontinuité. Dans la mesure du possible les interventions des missions NIVMER assurent la continuité temporelle des mesures, mais les difficultés technologiques et l’hostilité des Terres Australes rendent la tache difficile.

Ces données sont très intéressantes scientifiquement. Outre les applications qu’elles ont dans les différents programmes présentés dans le paragraphe 7.7.4, elles nous renseignent sur la physique de la marée autour des différentes zones océaniques où elles sont localisées. Ainsi, les marées sont importantes à Kerguelen (amplification sur le plateau de l’archipel), assez importantes à St Paul (configuration du cratère) et Dumont d’Urville (dans une baie), mais faibles à Crozet (appareil orienté vers le plein océan). Le type de marée est fortement semi-diurne à Kerguelen et St Paul, à majorité semi-diurne à Crozet et, phénomène plus rare à la surface des océans, diurne à Dumont d’Urville. Toutes ces données sont traitées en temps quasi-réel à Toulouse et sont envoyées au Fast Delivery Center du Sea Level Center de l’université de Hawaii (http://www.soest.hawaii.edu/UHSLC) puis au BODC (British Oceanographic Data Center : http://www.pol.ac.uk/bodc/bodcmain.html) du Royaume-Uni où elles sont accessibles en ligne sur Internet. Dans notre cas plus spécifique de la modélisation des marées à l’échelle globale, nous allons voir que ce type de données est très utile, tout autant pour faire des comparaisons de modèles et de mesures de terrain, que pour améliorer nos modèles en assimilant ces données (cf. Chapitre 9 et Chapitre 10). Ainsi, les 4 marégraphes de ROSAME nous sont extrêmement précieux du fait de leurs emplacements isolés et de la bonne qualité des mesures qu’ils fournissent.

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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000