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Chapitre 12 Améliorations du modèle hydrodynamique global en zone littorale

12.1 Présentation du chapitre

En plus de notre travail de construction de nouvelles solutions globales de marées, nous avons entrepris des études afin d’améliorer notre modèle hydrodynamique le long des côtes. Nous avons déterminé dans le Chapitre 6 quels sont les différents paramètres d’entrée du modèle qui influent sur le calcul des marées par le code CEFMO. Or nous avons montré dans les deux chapitres précédents que nos solutions globales de marées sont de bonne précision grâce à l’assimilation de données mesurées in situ. Si nous voulons obtenir un modèle hydrodynamique de qualité en utilisant aucune mesure et si nous voulons que sa précision soit celle des modèles assimilant des données, il nous faut donc étudier la qualité d’une solution de marée issue de CEFMO en fonction de la variation de différents paramètres (bathymétrie, effets de charge et d’auto-attraction, coefficient de Chézy, résolution du maillage, frontières ouvertes…). Une étude globale est difficilement possible si nous voulons étudier toutes les différences qu’impliquent les variations des paramètres d’entrée du modèle. C’est pourquoi, nous avons tous nos tests sur un bassin local. La Mer Jaune et la Mer de Chine Orientale forment un excellent bassin test du fait de la faible profondeur et de la forte dissipation énergétique de marée qui y prend place. Le but de ce chapitre est d’utiliser cette zone afin de déterminer les améliorations à apporter à notre modèle.

Nous allons d’abord introduire la zone d’étude et la base de données marégraphiques qui va nous permettrent de comparer nos solutions. Puis nous examinerons précisément les paramètres physiques et numériques qui affectent la qualité du modèle hydrodynamique éléments finis, à savoir les conditions aux limites, le mode de calcul, la résolution du maillage et les variations du coefficient de frottement. Nous n’apporterons que des améliorations physiques au modèle hydrodynamique. Aucune assimilation de donnée ne sera effectuée. La qualité du modèle dans cette zone locale ne sera donc que la conséquence des améliorations des paramètres d’entrée du code. Enfin, nous établirons un bilan énergétique sur la zone en comparant nos champs de vitesses avec des courantomètres de pleine eau, afin de mieux comprendre la dissipation due au frottement sur le fond dans le cas de notre modèle.

Cette étude nous permet de fournir les solutions des principales ondes du spectre de marées :

12.2 Choix de la zone d’étude

12.2.1 Introduction

L’objet de l’étude est de savoir ce que nous pouvons attendre des améliorations du modèle hydrodynamique dans une zone littorale. Nous avons décidé de nous focaliser sur la Mer Jaune et la Mer de Chine Orientale (en anglais ‘Yellow Sea and the East China Sea’ et dès à présent résumé par YS-ECS). Nous avons plusieurs raisons pour sélectionner cette zone, la principale étant que le modèle hydrodynamique FES94.1 présente certaines lacunes comparées à d’autres zones comme le plateau européen où FES94.1 est correct [Andersen et al., 1995]. Nous nous sommes donc interrogés sur les différences de qualité qui peuvent exister entre deux zones avec le même modèle. Les marées sont importantes dans YS-ECS. La Navy anglaise [Hydrographer of the Navy, 1992] indique que les élévations de marées peuvent atteindre environ 5,6 m sur la côte ouest de Taiwan (à côté de Chang Hua à 150 kilomètres au sud ouest de Taipei), 3 m dans la baie de Hanchow (près de Shanghai), 3,7 m dans la baie de Pohai Bay (près de Pékin), et 8.5 m dans la baie de Incheon (à l’Ouest de Séoul en Corée du Sud). Les courants de marée peuvent atteindre de grandes valeurs : une étude commandée par une centrale électrique coréenne [Korea Electric Company, 1978] rapporte qu’ils peuvent atteindre 3 m s-1 à l’entrée de la baie de Cheonsu durant les marées d’équinoxes. Les valeurs considérables de ces élévations et de ces vitesses de marées prouvent que cette zone est une des régions océaniques où la dissipation de la marée est très importante. Une des premières estimations de la dissipation pour la composante M2 a été donnée par Miller [1966], qui a conclu que 60 Giga watts (GW) sont dissipés dans la Mer Jaune seule, ce qui représente 3,5% des 1,7 Téra watts (TW) qu’il estimait pour la dissipation globale par le frottement sur les fonds océaniques à l’échelle globale. De nouvelles estimations de Le Provost et Lyard [1997]estiment la dissipation de M2 à 180 GW sur cette zone, soit 11,1% des 2 TW globaux estimés pour la dissipation de la friction de fond. Kantha et al. [1995] ont obtenu la même valeur. Dans ce cas, quelles valeurs sont les bonnes? Toutefois, nous savons qu’elles sont dépendantes de la qualité des solutions en courant et du choix du coefficient de frottement utilisé pour paramétriser cette dissipation.

12.2.2 Description de la zone

Cette zone (cf. Figure 66) est divisée en 4 parties différentes :

Figure 66 : Carte de la zone d’étude et marégraphes utilisés dans les comparaisons

Cette zone est très complexe, à la fois à cause de la topographie (cf. Figure 67), mais aussi à cause de la dynamique locale des marées. En effet, elle est parsemée de bancs de sable, de récifs, d'îles, de courants changeants et rapides. Au nord, le littoral de la péninsule coréenne et la côte orientale de la Mer de Grêle jusqu'à la hauteur de Shanghai présente un relief plat, rectiligne, sablonneux et une mer avec peu d'îles au large. Au sud de Shanghai, les rivages sont plus découpés : collines, éperons rocheux et îlots. La plupart du temps, il s'agit de récifs coralliens affleurants. Alentour, plusieurs fosses atteignent 4000 mètres. L'extension en latitude explique les écarts de températures : la baie de Pohai est prise par l'embâcle jusqu'en mars, ce qui nécessite l'intervention des brise-glace. En revanche la partie orientale de la Mer de Chine Méridionale est réchauffée toute l'année par le courant chaud du Kuroshio qui amène les eaux à une température proche de 26°C [Su and Weng, 1994]. L’ensemble des deux mers apparaît donc comme étant un test sévère pour la modélisation des marées océaniques.


Figure 67 : Bathymétrie de la zone d’étude (profondeurs en mètres)

12.2.3 Choix d’une base de données marégraphiques pour les comparaisons

Nous avons sélectionné 192 marégraphes. Ces stations ont été extraites de la banque de données du Bureau Hydrographique International [International Hydrographic Office, 1979] et d’un rapport Coréen (Yoon, communication personnelle, 1995). Pour constituer notre propre banque de données, nous avons contrôlé une à une celles des banques BHI et coréenne dans notre zone afin de déterminer leur validité. Nous avons du ajuster les données des marégraphes de l’étude coréenne au méridien de Greenwich car elles étaient référencées par rapport à la longitude 135°E.

A partir de ces données nous nous sommes donc constitué notre propre banque de données suivant plusieurs critères :

Les marégraphes pris en compte dans cette étude sont donnés Figure 66. Nous pouvons tout de suite constater que les mesures marégraphiques sont essentiellement côtières. Les données pélagiques sont rares et la validation du modèle en plein océan est donc plus hasardeuse. Cependant, le modèle se comporte de manière connue en plein océan et ce sont les zones côtières qui nous intéressent plus particulièrement.

Afin de comparer les solutions de marées calculées avec les mesures in situ, nous introduisons une Root Mean Square (RMS) :

(12.133)

avec :

Dans la suite du chapitre, toutes les comparaisons seront faites avec cette RMS. Comme nos calculs sont purement hydrodynamiques (aucune donnée n’est assimilée), les valeurs données par les 192 stations marégraphiques sont indépendantes de nos solutions ce qui assure des comparaisons cohérentes.

12.3 Etude de sensibilité

12.3.1 Choix de la zone d’étude

L’un des buts du travail sur ces mers littorales est d’améliorer les solutions hydrodynamiques FES94. La zone modélisée s’étend de la latitude 20°N à 40°N et de la longitude 113°E à 132°E. Le choix des conditions aux limites est très important, surtout le long de frontières en plein océan où la marée est nettement mieux connue qu’en petits fonds. La zone suit des côtes de la Chine, de la Corée du Nord, de la Corée du Sud et du Japon ainsi que des îles. Les frontières ouvertes sont choisies en fonction de la bathymétrie, des mesures marégraphiques disponibles et des zones de plein océan où les marées issues des modèles globaux sont a priori bien connues. La détermination de ces frontières ouvertes est absolument fondamentale car elle conditionne une grande partie de la qualité des solutions calculées. Dans la zone étudiée, FES94 est peut-être la meilleure solution le long des côtes mais elle ne l’est pas en plein océan. C’est pour cette raison que nous avons considéré deux modèles globaux de marée pour définir les conditions aux limites ouvertes : le modèle global CSR3.0 [Eanes and Bettadpur, 1996] et le modèle global FES95.2 [Le Provost et al., 1998]. Afin de comparer la qualité de ces deux modèles le long des segments des frontières ouvertes choisies a priori (une première simulation ne prenait pas en compte l’île de Taiwan en entier et conduisait à des résultats médiocres) nous avons construit une banque de données de 16 marégraphes localisés près de ces segments. En utilisant la RMS introduite en (12.133), le Tableau 32 donne les comparaisons de ces deux modèles avec les mesures in situ.
 
Onde
Nombre de marégraphes
RMS pour CSR3.0 (cm)
RMS pour FES95.2 (cm)
M2
16
12,06
10,28
K1
14
2,03
2,85

Tableau 32 : RMS de CSR3.0 et FES95.2 le long des frontières ouvertes

Le Tableau 32 montre que la solution FES95.2 est meilleure pour M2 (presque 2 cm de mieux que CSR3.0) mais moins bon pour K1 (presque 0.8 cm moins bon que CSR3.0). Un des buts de notre étude étant d’améliorer notre modèle FES95.2 le long des côtes (puisqu’il est déjà bon en plein océan) et comme il est difficile de départager les deux modèles sélectionnés dans notre zone d’étude, nous avons finalement opté pour FES95.2 pour fixer nos conditions aux limites. Ainsi en incluant notre modèle local dans FES95.2 nous améliorerons la solution globale FES95.

12.3.2 Mode de calcul

Comme nous l’avons vu précédemment, le modèle original élément finis [Le Provost and Poncet, 1978], suppose l’existence d’une unique onde dominante, en terme de vitesse, dans la zone. Cependant, le long des côtes de l’océan Arctique, Lyard [1997] a montré qu’il est important de relâcher cette hypothèse au sein de zone où les vitesses des ondes diurnes peuvent être équivalentes voire supérieures à celles des ondes semi-diurnes. C’est pourquoi, afin de vérifier cette hypothèse dans la zone YS-ECS, nous avons calculé la solution M2 dans deux cas : Le mode mixte nous permet de tenir compte tout à la fois de la dominance des ondes diurnes et des ondes semi-diurnes pour la linéarisation du coefficient de frottement. Le Tableau 33 donne les RMS calculées pour les différents modes.
 
Mode
RMS (cm)
Mode dominant
123,29
Mode mixte
30,24

Tableau 33 : RMS pour le mode dominant et le mode mixte

De façon claire et surprenante, le mode mixte est 4 fois plus précis que le mode dominant. La formulation du coefficient de frottement dans le mode mixte est commandée à la fois par les vitesses de M2 et de K1. Ces deux composantes jouent le rôle d’ondes dominantes générant de la turbulence dans la couche limite proche des fonds océaniques (cf. [Lyard, 1999] pour plus d’explications). Ainsi dans la suite, tous les calculs sont faits en mode mixte.

12.3.3 Test sur la résolution du maillage

Pour les calculs globaux FES, les équations de l’hydrodynamique sont résolues sur un maillage de plus de 300000 nœuds. Cependant sur la zone YS-ECS la résolution de ce maillage global n’est que de d’environ 10000 nœuds, ce qui représente des tailles de mailles de 200 km en plein océan qui approchent les 10 km le long des côtes (Figure 68). Cette résolution est faible pour l’étude locale approfondie que nous désirons réaliser.


Figure 68 : Maillage global sur la zone YS-ECS

En fonction de l’approche éléments finis, nous avons remaillé notre zone afin d’améliorer les performances du modèle hydrodynamique global dans cette zone. Ce raffinement du maillage permet une meilleure prise en considération de la topographie locale. Ainsi, comme nous l’avons vu dans précédemment, Le Provost et Vincent [1986] ont fixé la distance maximale entre deux nœuds nœuds Lagrange P2 d’un élément triangulaire pour une simulation correcte de la propagation d’une onde de marée :

(12.134)

Par exemple pour l’onde M2 (choisie comme référence pour notre maillage) et une profondeur de 1000 m, la distance maximale entre deux nœuds est d’environ 150 km.

Cependant ce critère n’est pas suffisant dans les zones maritimes de forts gradients topographiques [Luettich and Westerink, 1995]. Nous avons donc généré notre nouveau maillage en tenant compte d’un critère supplémentaire sur le gradient de la topographie à un point de profondeur H. La distance maximale  entre deux nœuds d’un élément triangulaire Lagrange P2 ne doit pas exéder :

. (12.135)

Ainsi, pour une profondeur de 1000 m et une pente de fond de 1% la distance maximale entre deux nœuds est de 20 km environ.

Nous avons sélectionné le meilleur de ces deux critères pour déterminer l’emplacement de tous les nœuds du nouveau maillage (Figure 69).


Figure 69 : Maillage raffiné sur la zone YS-ECS

Comme nous pouvons le voir sur la Figure 68 et sur la Figure 69, la cassure de plateau entre la Mer Jaune et l’Océan Pacifique est fortement marquée dans le maillage raffiné. En effet, cette zone est à fort gradient topographique puisque les profondeurs passent rapidement de 4000 m à une centaine de mètres seulement. En termes pratiques, la distance entre deux nœuds P2 du maillage raffiné est de 30 km environ en plein océan et de 5 km environ le long des côtes. Ainsi, nos nouvelles solutions sont calculées avec un maillage composé de 11448 triangles. Comme les calculs se font avec une résolution en Lagrange P2, le nombres de nœuds est de 23380. L’élévation de marée est calculée en tous ces nœuds et les vitesses en tous les points de Gauss des éléments triangulaires (7 pour chaque triangle).

Cependant, nous n’avons pas été capables de quantifier les améliorations apportées après avoir raffiné le maillage dans les mers marginales de la zone YS-ECS à cause des effets intrinsèques sur l’amélioration de la bathymétrie. La grille de bathymétrie à 5’x5’ (~ 10 km de résolution à l’équateur) ETOP05 [National Geographic Data Center, 1987] est à la fois utilisée pour le modèle local et le modèle global. Dans l’approche par éléments finis, la bathymétrie est interpolée sur tous les points de Gauss et est ainsi plus précise et plus dense avec le maillage raffiné. Comme les solutions locales et les solutions globales ne sont pas calculées avec la même bathymétrie, les inter comparaisons des résultats numériques ne sont pas significatives.

Cependant, il est évident que le raffinement du maillage le long des côtes et en petits fonds permet de mieux prendre en compte de petites structures comme les baies et les estuaires, alors que le maillage global ne le fait pas. Ainsi, avec une meilleure résolution spatiale, en particulier le long des côtes, le maillage local représente mieux les gradients et les irrégularités de la topographie.

12.3.4 Test sur la bathymétrie et les autres champs de forçage

Les solutions de marées sont sensibles à la topographie des fonds marins. En particulier, la bathymétrie locale pilote la propagation des ondes. De plus, les forts gradients de la topographie sont responsables des fortes variations des champs de vitesses. Dans la Mer Jaune, et plus particulièrement dans la baie de Corée et dans la baie de Pohai, la géométrie locale est à l’origine des très fortes résonances d’ondes diurnes et semi-diurnes le long des côtes. Ce résultat est confirmé par Kang et al. [1998] qui ont analysé les fortes amplitudes de M2 dans la baie de Corée en terme de distorsion de l’onde de marée sur les côtes coréennes. En outre, la précision et la finesse de la topographie des fonds océaniques sont essentielles pour une meilleure résolution de la dissipation de marée. La bathymétrie utilisée dans CEFMO est extraite de la base de données ETOP05.Cependant, les premières simulations étaient différentes des données in situ. Smith [1993] a montré un réel manque de précision de cette base de données. Un des problèmes particuliers est du au fait que ETOP05 repose sur l’analyse des échos sondages des navires. Les lignes de sondes sont parfois distantes de plus d’une centaine de kilomètres. Or ETOP05 est interpolée entre ces lignes. C’est pourquoi, de nombreuses caractéristiques de la topographie sous-marine présentes sur le terrain ne sont pas représentées dans ETOP05. De plus, la résolution spatiale de ETOP05 est insuffisante (la résolution numérique est de 5’x5’ ce qui est nettement supérieure à la résolution du terrain) en particulier en petits fonds et le long des côtes. Nous avons entrepris d’améliorer la bathymétrie ETOP05 dans la zone YS-ECS en utilisant des cartes de la Marine Française et de la Navy Anglaise. Dans certaines zones de petits fonds d’une trentaine de mètres, nous avons constaté des différences supérieures à 10 m. Puis nous avons calculé des solutions pour les ondes M2et K1 avec la bathymétrie ETOP05 et notre bathymétrie améliorée. Les résultats des comparaisons avec la base de données définies dans le paragraphe 12.2.3 sont donnés dans le Tableau 34.
 
Onde
Nombre de marégraphes
RMS pour la bathymétrie ETOP05 (cm)
RMS pour la bathymétrie amélioré (cm)
Pourcentage d’amélioration
M2
192
44,82
28,58
36%
K1
171
10,04
7,01
30%

Tableau 34 : Comparaisons de la bathymétrie ETOP05 et de la bathymétrie améliorée

Les résultats sont parlants. En effet, les améliorations pour M2 sont de 36% et pour K1 de 30%, ce qui met en évidence la réelle importance de la bathymétrie dans la modélisation hydrodynamique.

Nous avons aussi tenu compte des marées terrestres, des effets de charges et des effets d’auto-attraction. Hendershott [1972] a exprimé les effets de charges et d’auto-attraction comme nous l’avons vu dans le paragraphe 6.2. Des cartes globales ont été calculées par Francis [1990], en prenant pour base les solutions de marées de Schwiderski [1980c] avec une résolution de 1ºx1º. Nous les avons introduit comme termes diagnostiques dans notre modèle éléments finis.

12.3.5 Réglage du coefficient de frottement

Dans le modèle hydrodynamique CEFMO, le coefficient de frottement est paramétrisé par une loi quadratique. Ce coefficient Cf de type Chézy est utilisé empiriquement pour ajuster le frottement. Il est habituellement pris entre 2,5x10-3 et 3x10-3 [Dronkers, 1964]. En effectuant des expériences sur le plateau continental européen, Pingree [1987] recommande l’utilisation d’un coefficient compris entre 2,30x10-3 et 2,60x10-3. Pour la simulation de marée globale FES94.1, Le Provost et al. [1994] ont pris un coefficient de 3x10-3 dans les zones de plein océan et de 2,5x10-3 dans les petits fonds. Jusqu’à maintenant ce coefficient déterminé sur un domaine réduit était appliqué sur l’océan global.

Des tests ont été entrepris sur la zone YS-ECS avec 9 coefficients de frottement différents (1x10-3, 1,25x10-3, 1,5x10-3, 1,75x10-3, 2x10-3, 2,25x10-3, 2,5x10-3, 2,75x10-3 et 3x10-3) afin de déterminer le meilleur par rapport à notre base de données marégraphiques introduite au paragraphe 12.2.3. Les tests ont révélé un effet de seuil à 1,5x10-3 pour M2 et K1 (cf. Figure 70 et Figure 71).


Figure 70 : RMS (en cm) des solutions calculées pour M2 en fonction du coefficient de frottement


Figure 71 : RMS (en cm) des solutions calculées pour K1 en fonction du coefficient de frottement

L’amélioration est de 45,3% pour M2 et de 27,2% pour K1 pour un coefficient de frottement décroissant de 3x10-3 à 1,5x10-3. C’est pourquoi, dans la suite du travail, le coefficient de frottement est pris égal à 1,5x10-3 pour le calcul de toutes les ondes de marées. Ceci confirme que le coefficient de frottement optimal à une échelle régional peut-être différent de celui de l’échelle globale.

12.4 Calcul de 11 ondes de marées

12.4.1 Décomposition harmonique du spectre de marée

Onze ondes du spectre de marée ont été calculées : M2, S2, N2, K2, 2N2, K1, O1, P1, Q1, M4 et MS4. Ces composantes ont été sélectionnées en fonction de la décomposition harmonique du signal fourni par les 192 marégraphes sélectionné au paragraphe 12.2.3. Nous avons calculé une amplitude moyenne pour chacune des composantes (cf. Figure 72).


Figure 72 : Décomposition harmonique du spectre de marée de la base de données in situ

Nous avons ainsi pu déterminer les composantes principales du spectre sur la zone YS-ECS.

Comme nous étudions une zone principalement située en petits fonds, les effets de la non-linéarité des ondes de marée sont importants. Des ondes qui ne sont pas présentes en plein océan apparaissent ainsi en petits fonds. C’est le cas des deux ondes quart-diurnes M4 et MS4. En effet, ces deux composantes résultent principalement du fait que quand une vague arrive en eau peu profonde, le creux de la vague est retardé par rapport à sa crête. Les ondes qui s’en déduisent perdent leur aspect purement harmonique [Le Provost, 1991; Parker, 1991]. C’est pourquoi, nous avons aussi calculé ces deux ondes non linéaires.


12.4.2 Représentation des ondes

La représentation en amplitude et en phase des principales ondes est donnée dans Lefèvre et al. [1999c]. Nous rappelons ci-dessous les résultats pour M2, K1, M4 et MS4.
Figure 73 : Amplitude ((a) en cm) et phase ((b) en degrés) de marées pour M2

 
Figure 74 : Amplitude ((a) en cm) et phase ((b) en degrés) de marées pour K1

 
Figure 75 : Amplitude ((a) en cm) et phase ((b) en degrés) de marées pour M4

 
Figure 76 : Amplitude ((a) en cm) et phase ((b) en degrés) de marées pour MS4

12.4.3 Qualité des ondes calculées

Le calcul des 11 ondes a été effectué et comparé à d’autres solutions de marée sur la Mer Jaune et les Mers de Chine Orientale. Ces comparaisons sont amplement développées dans le papier de [Lefèvre et al., 1999c]. Nous ne rappellerons donc que les résultats quantitatifs de l’étude. Nous résumons la qualité de nos 11 ondes calculées dans le Tableau 35.
 
Onde
Nombre de marégraphe
Variance sur les marégraphes en cm
RMS des solutions en cm
Pourcentage de précision
M2
189
87,06
15,82
96,70%
S2
189
30,39
13,15
81,26%
N2
20
14,44
5,86
83,53%
K2
33
8,75
2,04
94,59%
2N2
9
3,16
1,77
68,74%
K1
163
20,32
5,09
93,73%
O1
163
15,19
3,76
93,88%
P1
40
6,61
1,85
92,19%
Q1
163
2,67
0,70
93,22%
M4
15
6,01
5,74
62,15%
MS4
11
2,83
2,46
24,32%

Tableau 35 : Qualité des 11 ondes calculées

La première colonne du Tableau 35 donne le nom de l’onde considérée. La deuxième donne le nombre de marégraphes utilisés pour les comparaisons suivant l’onde. La troisième indique la RMS calculée pour les marégraphes. La quatrième donne la RMS des solutions calculées. La dernière représente un pourcentage de précision (POA= Percentage Of Accuracy) qui est un bon indicateur de la qualité d’une solution comparée à une banque de données in situ :

(12.136)

Ce pourcentage, nous permet d’exprimer la qualité d’une solution pour une onde donnée en fonction de notre banque de comparaison les unes par rapport aux autres. Le Tableau 35 montre que les principales composantes du groupe des semi-diurnes M2et du groupe des diurnes K1 sont bien expliquées, comparées aux données in situ. S2 et N2 sont moins bien expliquées que les autres ondes : ceci est très certainement dû au fait que les conditions aux limites sont extraites de la solution globale FES95. En effet, elles ne sont pas très bonne qualité, en particulier à la frontière entre la Mer Jaune et la Mer du Japon, ce qui affecte l’ensemble de la solution sur tout le domaine local. Cependant, comme il a été écrit précédemment, afin de garder la continuité entre FES95.2 et notre solution, nous avons conservé FES95.2 pour extraire nos conditions aux limites ouvertes. En outre, il est à noter qu’exceptées les quatre ondes principales M2, S2, K1 et O1 les comparaisons entre les solutions calculées et les mesures in situ, se font avec très peu de marégraphes. Ceci biaise un peu l’analyse et les résultats de ces comparaisons, en particulier pour les ondes non linéaires M4 et MS4 qui, en général, ne sont pas bien extraites du spectre de marée (erreurs significatives en phases en particulier). Enfin, il est à souligner que ces deux composantes ont des longueurs d’ondes plus courtes et nécessiteraient plus de données in situ pour la validation.

12.5 Energie de marée

12.5.1 Vitesses barotropiques

Afin de calculer le bilan énergétique des marées dans la zone YS-ECS, nous avons dû calculer les vitesses barotropiques des composantes du spectre de marée. Les résultats des calculs sont développés et comparés dans Lefèvre et al. [1999c]. Nous donnons à titre informatif les ellipses de courant pour les deux ondes principales, projetées sur une grille régulière (Figure 77 et Figure 78). Le grand axe (respectivement petit axe) représente le maximum (respectivement minimum) de vitesse.


Figure 77 : Ellipses des vitesses pour M2


Figure 78 : Ellipses des vitesses pour K1

Dans la Mer Jaune les vitesses M2 et K1 sont complémentaires comme le montre la Figure 77 et la Figure 78. Or les vitesses sont représentatives de la dissipation de marée. Nos calculs nous conduisent à conclure que quand l’onde M2 pénètre dans la zone YS-ECS, elle se dissipe principalement dans les petits fonds, alors que l’onde K1 se dissipe surtout à l’entrée de la Mer Jaune où l’Océan Pacifique se resserre et à l’entrée de la baie de Liatong. Comme les deux ondes sont complémentaires dans la zone étudiée, bien qu’elles aient jusqu’à 5 ordres de différence en norme de la vitesse, l’hypothèse de dissipation mixe (mode mixte introduit au paragraphe 12.3.2) est à nouveau confirmé.

12.5.2 Budget énergétique de la marée

Nous avons quantifié la dissipation globale de marée en fonction des variations du coefficient de frottement. Comme nous l’avons conclu plus haut, une friction mixte est nécessaire à la bonne modélisation de la marée dans la zone YS-ECS. Ainsi, pour une onde considérée, le bilan global de l’énergie de marée est la somme de : Ces bilans énergétiques ont été calculés avec les vitesses de marée pour les sept coefficients de frottement. Les valeurs numériques sont données dans Lefèvre et al. [1999c]. De manière surprenante, la dissipation reste constante, à la fois pour l’onde M2 et l’onde K1, en fonction des variations du coefficient de frottement. En outre la dissipation que nous avons calculée est la même que celle calculée par Le Provost et Lyard [1997] avec un modèle hydrodynamique global, bien que la topographie, le maillage et le coefficient de frottement aient été améliorés. La raison principale de cette constatation est que le champ de vitesse s’adapte aux variations du coefficient de frottement du modèle hydrodynamique pour dissiper la même quantité d’énergie fournie aux frontières ouvertes qui sont fixées par les conditions aux limites.

12.5.3 Sensibilité des champs de vitesses

La constance de la dissipation, alors que le coefficient de frottement varie, nous a amené à conduire une étude de sensibilité sur les élévations de marée et les vitesses de marée en fonction des variations de ce coefficient. Lefèvre et al. [1999c] ont montré que pour un coefficient de frottement variant de 1x10-3 à 3x10-3, les élévations de M2 décroissent de 16,5% et les vitesses d’environ 29% alors que la dissipation due à la marée ne décroît que de 5,4% alors que le coefficient de frottement est multiplié par 3 (variation de 300% !). Les mêmes constatations sont faites pour K1. Les vitesses de marée apparaissent comme étant deux fois plus sensibles aux variations du coefficient de frottement que les élévations. En théorie, l’expression (cf. [Le Provost and Lyard, 1997]) de la dissipation de marée est :

(12.137)

avec :

Nous pouvons reconnaître dans (12.137) l’expression du frottement sur le fond océanique :

D’après (12.137), la dissipation est proportionnelle au coefficient de frottement multiplié par le cube de la vitesse de marée, ce qui est vérifié dans le cas de notre zone d’étude [Lefèvre et al., 1999c]. Il est clair que les vitesses sont plus sensibles aux variations du coefficient de frottement que ne le sont les amplitudes de marée. Une vérification expérimentale avec des mesures in situ de courantomètres a montré que les vitesses calculées correspondent le mieux aux vitesses mesurées dans le cas du choix d’un coefficient de frottement égal à 1.5x10-3, ce qui confirme l’étude faite précédemment sur les amplitudes. Le Tableau 36 donne les bilans énergétiques déduits de ces calculs de vitesses.
 

Onde
Bilan énergétique (GW)
M2
-180,2
K1
-11,2
S2
-59,9
N2
-16,4
K2
-3,3
2N2
-0,3
O1
-6,0
P1
-1,0
Q1
-0,2

Tableau 36 : Bilan énergétique pour les ondes principales du spectre de marée et un coefficient de frottement optimisé

12.6 Apports de l’étude locale

Grâce à l’étude de la modélisation des marées par notre modèle hydrodynamique local, nous avons été à même de dégager les principales améliorations à apporter au modèle global FES pour obtenir de meilleures solutions de marée en zone littorale. Par la comparaison avec une base de données marégraphiques conséquente, nous avons pu quantifier ces apports. Les améliorations constatées s’expliquent par 5 points : Les ondes M2,, S2, N2, K2, et 2N2 (pour le groupe des semi-diurnes), K1, O1, P1, et Q1 (pour le groupe des diurnes) ont été calculées en bénéficiant des améliorations citées ci-dessus. De plus, les ondes non linéaires M4 et MS4 (pour les groupes des quart-diurnes) ont été calculées et comparées à d’autres modèles locaux, avec succès. Ceci montre la capacité du modèle CEFMO à calculer des ondes non linéaires.

Les champs de vitesses associés aux neuf ondes diurnes et semi-diurnes ont aussi été calculés afin de faire un bilan énergétique précis de la marée dans la zone YS-ECS en fonction des variations du coefficient de frottement. La dissipation calculée reste alors constante ce qui montre que son expression théorique est consistante. La principale conclusion sur cette constance de la dissipation est que dans le cadre de notre modèle hydrodynamique, le champ de vitesse d’adapte aux variations du coefficient de frottement.

Les améliorations que nous avons apporté au modèle hydrodynamique local vont ainsi pouvoir profiter au modèle global dans notre approche éléments finis.
 
 

Partie IV : Bilan énergétique et perspectives

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Title: Thèse de Fabien Lefèvre
Issue: Version 1.0
Date: 29/09/2000